Copieux récital de trompette baroque dans la sphère germanique
Altissima. Concertos, Sonates, Sinfonia et alia op. de Gottfried Reiche (1667-1734), Christoph Graupner (1683-1760), Romanus Weichlein (1652-1706), Gottfried Finger (c1660-1730), Johann Samuel Endler (1694-1762), Georg Philipp Telemann (1681-1767), Philipp Jakob Rittler (c1637-1690), Capel Bond (1730-1790). Josh Cohen, trompette baroque. Daniel Abraham, Ensemble Sprezzatura. Janvier 2020. Livret en anglais, français. TT 66’51. Chandos CHAN 0828
C’est un tableau à l’huile, représenté en page 2 du livret, qui permet de connaître le visage de Gottfried Reiche, tenant une partition. Ce portrait préserve aussi la seule de ses 122 Abblasen-Stücke qui a survécu : une sonnerie qui était jouée du haut de la tour du marché de Leipzig où le musicien officiait en tant que Stadtpfeifer municipal. C’est par cette fanfare que débute cet album dédié à la trompette baroque, dont Josh Cohen est un des maîtres d’aujourd’hui, sur sa Matt Martin (Norwich Natural Trumpets), d’après un modèle original de Kodisch, c1710.
Divers genres et effectifs sont visités par le programme, qui inclut le Concerto en ré majeur GWV 308 (1744) de Christophe Graupner, Kapellmeister de Darmstadt, issu de la dernière salve concertante qu’il écrivit pour cette Cour. La Sonate en ut majeur de Romanus Weichlein est une des trois de son opus 1 qui invite une paire de trompettes ; son style partagé entre une aspiration élevée et les audaces du Stylus Phantasticus rappelle H.I.F. Biber et s’avère à l’image de la vie contrastée de ce sanguin curé qui n’hésita pas à cogner à la hachette un cuisinier qui le dénigrait ! Le mouvement central (Con discretione) développe des variations sur basse obstinée, à l’instar de la Ciaccona à 7 de Philipp Jakob Rittler, lui aussi prêtre, qui dès 1675 se distingua auprès de l’évêque d’Olomouc. De cette dernière partie de sa carrière morave date la chaconne, que les interprètes ont ici choisi d’épicer par guitare baroque et percussion, pour mieux rendre hommage aux origines hispaniques de cette forme.
Lui aussi un temps au service du Prince-Evêque Karl II de Liechtenstein-Kastelhorn, avant de passer à Londres puis revenir en Allemagne (Berlin, Neuburg, Heidelberg, Mannheim où il s’éteindra), Gottfried Finger fut le premier à faire publier un recueil de sonates pour soliste et basse continue sur le sol anglais. Celle en ut majeur, relevant d’une coupe da chiesa, provient d’un manuscrit conservé à la British Library. Elle fait dialoguer trompette et hautbois.
Les autres pièces convient aussi divers instruments à vent. Le TWV 43:D7 en ré majeur de Telemann sollicite deux hautbois au sein d’une écriture da camera d’influence française. La Sinfonia CobE 13 en fa majeur de Johann Samuel Endler (formé à Leipzig comme Graupner, auquel il succéda à Darmstadt au poste de Maître de Chapelle) enrôle deux cors, hautbois, basson et même timbales, traduisant une vocation de réjouissance, probablement pour le relais de chasse du Jagdschloss de Kranichstein. De cette œuvre la plus développée du récital (seize minutes), le présent CD propose le premier enregistrement sur instruments d’époque, d’un élan prudent, d’un parfum délicat qui ne rend peut-être pas tout à fait justice à l’éclat festif et au contexte cynégétique de ces pages -du moins y admire-t-on l’habileté de Josh Cohen dans la tessiture souvent haut perchée, honorant le sous-titre de l’album : altissima.
Le parcours se referme vers l’aval du répertoire ici abordé : un concerto en ré majeur, le premier des Six Concertos in seven parts de l’Anglais Capel Bond, édités en 1766. Avec ses quatre violons, cet opus fait entendre le concert de cordes le plus développé des huit œuvres au menu. L’ensemble Sprezzatura y confirme le soutien attentionné qu’il accorde au virtuose américain, dont la notice de Peter Watchorn (mentionnant d’intéressants rappels sur la facture) vante l’agilité et l’expressivité. Captée dans une église adventiste du Maryland, cette admirable réalisation ne peut que cautionner ces deux qualificatifs.
Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8,5 – Interprétation : 9,5
Christophe Steyne