La musique pour piano de Rossini par Paolo Giacometti, une œuvre intime et insolite
Gioacchino Rossini (1792-1868) : Intégrale des œuvres pour piano. Paolo Giacometti piano. 1998 à 2006. Livret en anglais, français et allemand. 8h58. Un coffret de 8 CD Channel Classics 2024 n° CCSBOX7924.
Il serait vain de détailler ici les cent trois pièces constituant l’intégrale de l’œuvre pour piano de Gioacchino Rossini, patiemment collectées et enregistrées pendant huit ans par le pianiste Paolo Giacometti pour la firme Channel Classics.
En 1829 Rossini, le célébrissime compositeur italien d’opéras, est adulé par l’Europe entière. Il décide à la surprise générale d’arrêter sa carrière en pleine gloire, peu après la première de Guillaume Tell. Il n’a alors que trente-sept ans et déjà quarante et un opéras à son actif. Depuis plus d’une vingtaine d’années, il mène une vie trépidante où ses opéras le conduisent dans les plus grands centres musicaux (Milan, Naples, Vienne, Paris…). Il semblerait que l’épuisement et les crises de neurasthénie dont il était victime eurent raison de son énergie (né un 29 février et mort un vendredi 13, on pourrait croire que le sort s’est acharné sur lui). Il confie à son ami d’enfance Guido Sete : « Quelle chose étrange que mon destin : faire rire autrui, n’avoir à soi que des larmes… ». Ainsi dès 1829, Rossini quitte la vie publique. Il se retire en France où il mène alors une vie paisible et confortable à Passy, dans la région parisienne, le public français lui ayant toujours réservé un accueil bienveillant et chaleureux malgré des hauts et des bas passagers.
C’est au cours des onze dernières années de sa vie (de 1857 à 1868), qu’il écrit de très nombreuses pièces pour piano mais aussi pour voix diverses accompagnées par un piano ou par de petites formations instrumentales. Œuvres tardives, il les regroupe sous le titre générique de « Péchés de vieillesse ». Il produit ainsi un peu plus de cent cinquante pièces regroupées en quatorze volumes thématiques. La musique pour piano seul tenant une part importante de cette production.
Rossini compose ces miniatures pour lui-même et ses proches sans aucune contrainte quelconque, et il refusera toujours de les publier malgré les sollicitations. Il conservera les manuscrits, en remaniera certains, et les regroupera sous forme de cahiers aux titres humoristiques. Excellent pianiste malgré ses dires, Rossini jouera régulièrement ces dernières œuvres à ses proches et amis, lors des réunions musicales du samedi soir qu’il organise dans le salon de sa demeure de Passy.
Dans ses pièces pour piano, Rossini laisse aller toute sa fantaisie et son humour et, sans obligation de résultat ou de perfection, il produit des pièces d’une grande diversité dans leur forme, dans leur durée (la « Mélodie Italienne » ne dépassant pas la minute alors que le « spécimen de l’ancien régime » frôle les dix-sept minutes), mais parfois aussi dans leur qualité, certaines pièces s’avérant de moindre intérêt.
La véritable constante de ces musiques demeure la fantaisie. Elle se trouve renforcée par l’ironie et l’esprit facétieux de Rossini qui transparait même dans les titres, préfigurant ceux d’Erik Satie né seulement deux ans avant la disparition de Rossini (Prélude convulsif – Etude asthmatique – Valse torturée – Gymnastique d’écartement – Boléro tartare – Plain-chant chinois – Tarentelle pur-sang – Spécimen de l’avenir etc.).
Ces titres parfois abscons révèlent souvent les traits de caractère du compositeur comme sa gourmandise légendaire, (le tournedos Rossini, c’est lui !) avec « quatre hors d’œuvre, quatre mendiants » – « ouf ! les petits pois » - « un sauté » – « hachis romantique »…, la tendresse avec « une caresse à ma femme » ou « les noisettes, à ma chère Nini » il s’agit bien sûr de sa petite chienne, ou encore ses phobies comme le chemin de fer même si dans le savoureux « un petit train de plaisir » il traite sa frayeur sur un ton comique. Il traite en musique de nombreux autres sujets comme son Italie natale ou sa propre vision de la société et de son époque.
Paolo Giacometti à l’excellente idée de réaliser cette intégrale en recréant l’atmosphère intime et chaleureuse du salon de musique par l’emploi de quatre instruments français d’époque (trois Erard et un Pleyel, construits entre 1837 et 1858) dont les sonorités à la fois rondes et chatoyantes sont idéales pour ce répertoire.
Paolo Giacometti réalise ainsi une première intégrale de ces pièces sur instruments d’époque et il faut constater que cet excellent pianiste néerlandais d’origine italienne n’a que peu de concurrence tant ces œuvres confidentielles ont été redécouvertes tardivement. Rappelons cependant que Dino Ciani (Fonit Cetra) et Aldo Ciccolini (EMI) avaient enregistré dans les années 1970 des extraits de ces œuvres pour piano ; Naxos a pour sa part réalisé une intégrale en 13 CD des « Péchés de vieillesse » sous la direction du pianiste Alessandro Marangoni, incluant aussi toutes les œuvres vocales.
Cette remarquable intégrale par Paolo Giacometti regroupée en un coffret de huit disques permet la découverte d’un aspect méconnu de ce Rossini tardif pétillant de malice et d’allégresse en composant ce corpus inclassable, hors du temps et des modes.
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 9,5
Jean-Noël Régnier