Le Chant de la terre par François-Xavier Roth et Les siècles

par

« Comment arrivera-t-on à diriger cela ? En avez-vous la moindre idée ? Moi pas ! »

François-Xavier Roth est parvenu, sans nul doute, à diriger l’œuvre « Le Chant de la Terre » de Gustav Mahler. Ce dernier, pourtant chef d’orchestre, prétendait qu’il ne saurait comment faire. La connivence entre l’orchestre Les Siècles, leur chef ainsi que des deux artistes lyriques, a permis au public présent au théâtre Raymond Devos de Tourcoing d’embrasser cette œuvre inouïe. 

« Le Chant de la Terre », n’est ni tout à fait une symphonie, ni tout à fait un cycle de lieder. Cette composition n’est pas non plus tout à fait romantique, ni tout à fait moderne. Elle semble atemporelle et inclassable. Les repères complètement évanouis nous amènent à entendre la musique pour elle-même. Ainsi, les timbres, les mélodies de timbres invitent à une sensorialité intense. La pensée et l’analyse nous quittent. Ce voyage auditif parmi les couleurs orchestrales nous emmène dans une quasi-méditation et, quelquefois, dans une totale ivresse auditive. A peine avons-nous apprivoisé un moment, un timbre, une impression, que l’on est emmené ailleurs. Le caractère éphémère et fugace de la musique est comme décuplé. Pour ne rien laisser s’échapper de ces moments fugitifs, l’auditeur se doit d’être pleinement présent. Cependant, ce flux met quelquefois hors de soi dans une sorte d’hypnose ou d’enchantement. Le contraste avec la première partie du concert, « Les Indes Galantes » est saisissant. Rameau, lui, nous laisse le temps d’entendre et de comprendre avec des répétitions de motifs, des formes et structures claires, des rythmes de danse sécurisants. 

Mahler, à l’inverse, semble faire du temps son jouet. Il le dilate ou le rétracte, on ne sait pas toujours où se trouve la pulsation ou même comment suivre des rythmes souvent si étonnants. Tout au long de l’œuvre, nous accueillons des contrastes de tempi, de nuances, d’ambiances, d’émotions et de timbres.  Ceux de la contralto Marie-Nicole Lemieux et du ténor Andrew Staples ont été des compagnons stupéfiants dans ce voyage. Les mots en allemand du « Chant de la Terre », inspirés de vers chinois antiques, vont au-delà de leur sens et de leur signification. Les sons des mots eux-mêmes que l’on pouvait goûter apportaient déjà à eux seuls la beauté. L’écriture de Mahler, l’interprétation des chanteurs suffisait à procurer le frisson sans la nécessité de saisir le sens précis des textes.  Il nous a semblé que, comme l’orchestre, eux aussi laissaient voyager leur voix parmi différentes couleurs. L’articulation impeccable, la formidable technicité, la qualité instrumentale ont permis de rencontrer la musique sans être parasité par une quelconque fragilité ou une prise de partie interprétative. La perfection a rencontré la pureté. 

La direction de François-Xavier Roth dans « Les Indes Galantes » et « Le Chant de la Terre » amène à penser le rôle du chef à travers les époques. Si nous pressentons une direction plus libre et souple vers les instrumentistes dans l’œuvre de Rameau malgré une exigence certaine du chef pour le respect de la pulsation, il en est tout autrement pour l’œuvre de Gustav Mahler. Le chef d’orchestre nous a semblé être un tisserand manipulant des textures, des couleurs, des motifs ou des dentelles, pour constituer une grande toile unique et cohérente. Nous supposons qu’une écriture si riche en reliefs, en contrastes, en timbres, en juxtaposition de climats, nécessite une vision très engagée d’un chef. Pour atteindre l’unité dans une composition si protéiforme, la connivence humaine est très certainement nécessaire elle aussi. Elle était palpable et émouvante lors de ce concert. 

 Entendre « Les Indes Galantes » avant « Le Chant de la Terre » amène à se poser la question de ce que l’on attend de la Musique. La musique parle quelquefois de manière prédominante à l’intellect, et quelquefois, bien plus aux sens. Que voulons-nous lorsque nous écoutons une œuvre ? Cherchons-nous à atteindre la sérénité par une écriture nous apportant des repères clairs et stables ? Cherchons-nous à être envoutés et baladés de surprise en surprise ?

Tourcoing, Atelier lyrique, 23 mars 2024

Alvina Langlais

Crédits photographiques : DR

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