L’enfance selon Dutilleux et Mahler... et Strauss, ce héros
Triple anniversaire pour l'Orchestre Philharmonique de Radio France et son directeur musical Mikko Franck : les 100 ans de l’adoption, par la Société des Nations, de la Déclaration de Genève sur les Droits de l’Enfant, les 60 ans de l’UNICEF-France et les 35 ans de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Le programme était, en principe, consacré à l’enfance. Si cela ne faisait pas de doute pour les deux œuvres de la première partie (The Shadows of Time d’Henri Dutilleux et les Kindertotenlieder de Gustav Mahler), le rapport paraissait moins évident pour la suite (Une vie de héros de Richard Strauss). Nous y reviendrons.
Ce qui est certain, c’est que nous avions là trois ouvrages pour grandes formations symphoniques, composés par trois génies de l’orchestre qui ont chacun leur propre sonorité orchestrale, immédiatement identifiable.
Le rapport avec l’enfance de The Shadows of Time (« Les ombres du temps »), œuvre de 1997 en cinq épisodes enchaînés, se situe dans la partie centrale, dédiée « à tous les enfants du monde, innocents », et dans laquelle trois voix d’enfants évoquent la tragédie vécue par Anne Frank avec ces mots : « Pourquoi nous ? Pourquoi l’étoile ? ».
D’entrée, avec Les Heures, nous sommes saisis par la remarquable gamme de nuances que trouvent les cuivres. L’orchestre sonne avec une plénitude qui s’empare de nous. Dans Ariel maléfique, les cordes sont aussi précises que les bois sont incisifs. Les trois voix d’enfants de Mémoire des ombres, qui viennent de jeunes filles au timbre qui n’est plus vraiment celui de l’enfance, sont déterminées, et la résonnance obtenue par l’archet sur le vibraphone, dans l’Interlude qui suit, rappelle le caractère de ces voix. Les contrebasses y ont un solo qui impressionne par leur vélocité et leur engagement. Dans Vagues de lumière, c’est la justesse des vents qui nous frappe. Et la densité musicale de Dominante bleue ? est formidable, concluant une interprétation en tous points convaincante de cette musique de la fin du XXe siècle qui, ainsi, nous parle comme si elle venait de bien plus loin.
Place aux Kindertotenlieder (« Chants pour les enfants morts »), sur des textes déchirants que Friedrich Rückert a écrits à la mort de deux de ses enfants. Si la musique est également pleine de douleur, il faut savoir qu’au moment de leur composition Mahler était devenu l’heureux père de deux petites filles. Ce n’est que quelques années après que l’aînée perdra brusquement la vie. Contrairement au texte, il n’y a donc rien d’autobiographique dans la musique. L’effectif orchestral est l’un des moins fournis du compositeur (les bois « seulement » par trois), et malgré le poids de la désolation, il se dégage de cette musique une certaine impression de transparence.