Le pianiste Tianqin Du s’attaque à Bach
Jean Sebastian.Bach (1685-1750) : Concertos pour piano et orchestre BWV 1052, 1054, 1055 et 105. Tianqi Du (piano), Academy of Saint-Martin in the Fields, Jonathan Bloxham (direction). 2024. Livret en français, anglais et chinois. 66’. Naïve V 7957
C’est une intéressante et même courageuse parution que nous propose Naïve où le jeune pianiste chinois Tianqin Du se mesure à quatre concertos pour clavier de Bach que l’on n’entend plus guère exécutés au piano en concert. Nous avons en effet affaire ici à des arrangements d’oeuvres antérieures probablement toutes pensées à l’origine pour violon et orchestre et dont les originaux se sont malheureusement perdus, si ce n’est dans le cas du BWV 1054 adapté au départ du célèbre Concerto pour violon en mi majeur BWV 1042.
Accompagné par une ASMF dont le jeu au cordeau et d’une intensité de tous les instants sous la baguette stricte de Jonathan Bloxham rappellera aux discophiles à la mémoire longue le style énergique, musclé et assez carré qu’affectionnait Karl Richter à la tête de son Bach-Orchester munichois entre la fin des années 1950 et celle des années 1970. Il faut dire que cette façon de diriger Bach à la cravache et avec aussi peu de souplesse paraît aujourd’hui assez anachronique.
La prestation du soliste est de celles qui laissent perplexe. Il est évident que nous avons affaire ici à un musicien indubitablement sincère, stylistiquement sûr et chez qui on ne trouvera à aucun moment d’épanchements romantiques hors de propos. Tianqin Du possède une enviable égalité de toucher et, bien au fait de certains aspects de la pratique historiquement informée, il n’hésite pas à ornementer de temps à autre sa partie avec goût.
Mais il manque à ce jeu invariablement propre et soigné cette façon de décoller de la partition qui fait toute la différence entre une exécution soignée et une véritable interprétation.
Peut-être est-ce dû à une réserve émotionnelle de la part du pianiste, mais cette façon imperturbable mais terne d’aborder cette musique étonne l’auditeur dans un premier temps puis finit par le lasser.
C’est ainsi que dans les mouvements rapides l’interprétation toujours très proprement jouée de Du manque cruellement de vie, d’ombre et de lumière. Son parti-pris anti-sentimental débouche invariablement sur une approche soignée mais mécanique. Ceci démontre -si besoin était- que même si elle est véritablement insubmersible, la musique du Cantor de Leipzig ne se joue pas toute seule. Ce sont vraiment la fantaisie et la créativité qui font le plus défaut à ce musicien probe, honnête et sans la moindre trace de vanité mais chez qui on cherchera en vain l’imagination qui donne vie à la musique. Hélas, chef et orchestre ne font guère mieux.
Quant aux mouvements lents, où Tianqi Du donne à entendre un mécanisme très sûr et une belle égalité de toucher, ils sont malheureusement d’une sagesse qui frise la neutralité comme si le pianiste se méfiait de laisser transparaître la moindre émotion. Dans le bref Largo du Concerto en fa mineur BWV 1056 on n’a qu’à comparer son jeu appliqué avec l’enregistrement historique d’Edwin Fischer où l’illustre pianiste suisse captive par une beauté de son et une infinie variété d’éclairages à mille lieues de cette version si curieusement atone.
Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 6
Patrice Lieberman