Brahms par Zubin Mehta
Johannes Brahms (1833-1897) : intégrale des symphonies. Münchner Philharmoniker, direction : Zubin Mehta. 2024. Livret en anglais et allemand. MPHIL0032
Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano nᵒ 1 en ré mineur, op. 15 ; Concerto pour piano et orchestre nᵒ 2 en si bémol majeur, op. 83. Yefim Bronfman, piano ; Münchner Philharmoniker, direction : Zubin Mehta. 2024. Livret en anglais et allemand. MPHIL0033
Zubin Mehta et Brahms, c’est une histoire d’amour tant le chef indien a fait des symphonies des chevaux de bataille de ses concerts et de ses tournées. C’est sans doute après les grandes symphonies de Mahler et de Bruckner, le répertoire orchestral auquel on l’associe le plus. Il faut dire que son charisme au pupitre lui permettait de faire fusionner le magma instrumental et de porter les climax à leurs paroxysmes. L’auteur de ces lignes se souvient de concerts magistraux avec la Symphonie n°1 dont le dernier mouvement vous collait à votre fauteuil, le maestro galvanisant les pupitres des Wiener Philharmoniker et du Philharmonique d’Israël. Au disque, Mehta a beaucoup pratiqué Brahms depuis l’un de ses premiers enregistrements pour Decca avec les Wiener Philharmoniker dans la Symphonie n°1. On lui doit deux intégrales complètes enregistrées avec le New York Philharmonic et le Philharmonique d’Israël (Sony dans les deux cas) et on trouve d’autres témoignages de concert captés à Tel Aviv chez RCA ou Helicon, le label de l’orchestre. Cela étant, aucun de ces enregistrements ne peut être considéré comme une référence.
Dans ce contexte, on accueille avec grand intérêt ces deux parutions issues de séries de concerts munichois de janvier dernier avec les Münchner Philharmoniker dont le vénérable Zubin Mehta est un compagnon de route. Dans les symphonies, le ton a changé et le geste est désormais retenu. Ce Brahms semble respirer une nostalgie d’un temps passé traversé d’ombres automnales. La symphonie n°2 incarne le mieux cette lecture pastorale mais caractérisée par une lenteur d’une musique qui ne semble pas finir, le chef sculptant la masse avec soin, soignant les teintes ombragées, presque fantomatiques de personnages sortis d’un tableau de Caspar David Friedrich. La Symphonie n°1 étonne par cette retenue dans l’avancée dramatique avec parfois des scansions que n’aurait pas reniées le jeune Bruckner. C’est la Symphonie n°4 qui s’impose comme la mieux réussie par ce travail d’équilibre sur la lumière instrumentale. Notons que tous les mouvements lents sont toujours bien cernés avec une grande finesse de trait et une écoute mutuelle presque chambriste, c’est ici du grand art. Mais dans sa globalité et au fil des écoutes, la somme peine à s’affirmer et les qualités de retenue et de soin aux équilibres dans cette perspective assez nostalgique peut aussi générer un ennui poli et le manque de caractérisation peut friser le Brahms de sénateur d'autant plus que la même approche est appliquée aux quatre symphonies.
L’orchestre est fabuleux dans son homogénéité et la qualité de ses pupitres (magistral cor solo), mais cette nouvelle intégrale, personnelle dans son approche équilibrée et soignée, peinera à s’affirmer comme une référence. Mais c’est un témoignage attachant d’un immense chef vénérable.
En parallèle des symphonies, le label du Philharmonique de Munich propose les deux concertos pour piano. Tout comme les symphonies, Zubin Mehta est un stakhanoviste de ses œuvres et il les a gravées avec rien moins qu'Arthur Rubinstein (Decca), Vladimir Ashkenazy (Decca), Daniel Barenboim (Sony), Rudolf Buchbinder (Sony)… En janvier 2024, le chef retrouvait l’un de ses fidèles compagnons de scène : Yefim Bronfman. Ensemble, ils portent ces deux oeuvres à leurs sommets. Les deux artistes connaissent les moindres recoins de ces partitions dont ils savent rendre tant la puissance d’impact que la musicalité. Alors le ton est lent, parfois très lent, pas si éloigné de celui de de Claudio Arrau en compagnie de Carlo Maria Giulini (Warner), mais ces lectures s’imposent par ce dosage entre verticalité et horizontalité d'une plastique apollinienne intemporelle. Notons encore la performance de l’orchestre, magistral dans son collectif et ses individualités (superbe solo de violoncelle de Floris Mijnders dans l’Andante du Concerto n°2). Au final, c'est la quintescence de l'art des grands maîtres, ceux dont le métiers et l'expérience parlent en premier en magnifiant la structure des partitions.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 7/8 (Symphonies) - 9 (Concertos)
Pierre-Jean Tribot
Chronique réalisée sur base de l'édition digitale