Le piano oublié d’Alfons Szczerbiński, première gravure mondiale
Alfons Szczerbiński (1858-1895) : Œuvres pour piano, volume 1 : Chansons sans paroles op. 3, 5, 12, 14 et 36 ; Chanson sans parole en ré mineur ; Andante cantabile ; 3 Valses op. 17 ; Mazurka. Giorgio Koukl, piano. 2021. Notice en anglais. 62.04. Grand Piano GP876.
Originaire de Prague, le pianiste Giorgio Koukl (°1953), qui est aussi claveciniste, a étudié au Conservatoire de sa ville natale avant de se perfectionner à Zürich et à Milan. Il a suivi des masterclasses de Nikita Magaloff, Jacques Février et Stanislav Neuhaus, et a travaillé avec Rudolf Firkušný. Ce dernier l’a persuadé de s’intéresser à l’œuvre de Martinů, ce qui a conduit Koukl à enregistrer pour Naxos une intégrale de la musique pour piano seul et les concertos de ce dernier. Il a élargi son répertoire à Witold Lutoslawski, Alexander Tcherepnin, Alexandre Tansman, Paul Le Flem ou Tibor Harsányi, que l’on a pu découvrir sous ses doigts chez Grand Piano. Voici maintenant, pour le même label, un premier volume consacré à un créateur tout à fait oublié.
La notice est signée par le violoniste Wojciech Czemplik. Nous nous en inspirons pour présenter Alfons Szczerbińsky, né à Gostyn, dans la partie polonaise alors sous contrôle allemand. Il étudie l’orgue au Gymnase de Schrimm, ville voisine, et compose dès l’âge de sept ans. Il a l’occasion de prendre une part active à la vie artistique et se produit dans des concerts scolaires. Encouragé par son milieu familial cultivé, il se rend à Berlin pour poursuivre sa formation, mais, orphelin de père à dix-neuf ans, il est contraint d’y mettre fin pour des raisons financières. Il tente alors l’aventure des auditions à l’Académie des Beaux-Arts, dont Joseph Joachim est le directeur ; il éblouit les professeurs en jouant ses propres œuvres, ainsi que des pages de Bach. Admis, il achève son cursus en 1883, retourne en Pologne où il devient professeur de musique tout en composant des pages pour piano et de la musique de chambre ou vocale. Dix ans plus tard, il est à Cracovie où il a l’intention de donner des cours à de jeunes aristocrates. A la même époque, il ressent l’appel d’une vocation religieuse et est en contact avec le milieu des Rédemptoristes. Victime d’une intoxication due à un appareil de chauffage, sa santé se détériore très vite et il décède, à l’aube de ses 37 ans.
Le nom de Szczerbiński n’est aujourd’hui connu que dans des cercles restreints. Un grand nombre de ses partitions ont disparu à l’époque de la Première Guerre mondiale ; il avait lui-même décidé d’en détruire quelques-unes. La persévérance de l’une de ses nièces, qui était pianiste, a permis de sauver ce qui était possible, soit environ soixante-cinq compositions. Il est établi que les pièces pour piano qui subsistent ont été écrites pendant la décennie de sa jeune maturité, un certain nombre relevant plus du fragment que de l’œuvre achevée. Son évolution stylistique est par ailleurs peu significative. Dans la ligne de Mendelssohn (toute une série de pièces légères porte de façon allusive le titre de Chansons sans paroles), de Chopin et de Liszt, l’inspiration n’atteint pas des sommets qui transportent l’auditeur, même si le style, proche de la musique de salon, dévoile une personnalité sensible et attentive aux couleurs. Ce n’est pas dénué d’élégance ni de charme, en particulier les Trois Valses de l’opus 17, ou la Mazurka qui conclut le programme.
La notice reproduit un commentaire de Barbara Hesse-Bukowska (1930-2013), qui remporta un second prix au Concours Chopin de 1949 avant d’étudier avec Arthur Rubinstein ; cette pianiste a dit de son compatriote que sa musique s’inscrivait dans la ligne de Hummel, de Field et des derniers romantiques. Remarque judicieuse, que l’on complètera par une autre, celle d’être devant un joli talent qui se serait sans doute plus affirmé si le destin lui en avait laissé le temps.
Son : 8,5 Notice : 9 Répertoire : 6 Interprétation : 9
Jean Lacroix