Tianwa Yang dans un Prokofiev impétueux, robuste et sans abandon

par

Serge Prokofiev (1891-1953) : Les deux Concertos pour violon ; Sonate pour violon seul. Tianwa Yang, violon ; Orchestre symphonique de la radio de Vienne ; Jun Märkl, direction. 2020. 62:33. Livret en anglais et en allemand. 1 CD Naxos 8.574107.

Tianwa Yang est née en 1987. Elle a battu un record en enregistrant les 24 Caprices de Niccolò Paganini à l’âge de treize ans. À défaut d’une personnalité musicale qui aurait été précocement très affirmée, elle témoignait déjà d’un certain tempérament, et d’une remarquable lisibilité dans ces pièces où la tentation est grande d’aller vite pour cacher les défauts.

Depuis, elle a beaucoup enregistré, et l’étude de sa discographie prouve des goûts musicaux hétéroclites. Il y a par exemple deux intégrales (violon seul, avec piano ou avec orchestre) de compositeurs aussi dissemblables que le virtuose espagnol du XIXe siècle Pablo de Sarasate (en 8 CD, enregistrés entre 2004 et 2012, où elle se montre ébouriffante et inspirée), ou le créateur allemand encore en activité Wolfgang Rihm (en 3 CD, enregistrés entre 2012 et 2016, où elle frappe par son ardeur et son engagement physique).

Par certains côté, Serge Prokofiev fait le lien entre les deux. Il est un compositeur résolument du XXe siècle, et son langage n’a bien sûr plus rien à voir avec celui de Sarasate. Mais sa recherche de virtuosité, même s’il explore de nouveaux modes de jeux, est au fond dans la continuité. Son langage est encore tonal, mais peut être qualifié de « moderne », et en ce sens annonce celui de compositeurs plus radicaux comme Rihm.

Tianwa Yang nous propose ici son œuvre pour violon, hors celles avec piano (deux Sonates et les Cinq Mélodies) : les deux Concertos, et la Sonate pour violon seul.

Le Premier Concerto date de 1917, et sa création dut attendre plusieurs années en raison de la Révolution russe qui contraint Prokofiev à s’exiler. Merveille de transparence orchestrale, il nous transporte tour à tour dans la féérie, le sarcasme, la nonchalance.

Dans l’Andantino initial, Tianwa Yang fait preuve d’une inventivité assez stupéfiante. Chaque note, ou presque, est l’occasion d’une intention particulière, au risque de faire perdre de sa candeur à cette musique venue d'ailleurs. Ce traitement convient en revanche admirablement à la violence du Scherzo central, ici étincelant et capricieux à souhait. Quant au Moderato final, il pose de façon accrue le problème de la prise de son de cet enregistrement, qui met en avant la petite harmonie au point de perturber sensiblement l’équilibre ; la soliste a beau faire de très belles nuance piano, elles sont souvent couvertes par l’orchestre, et alors semblent réduites à un rôle d’accompagnement très frustrant.

Le Deuxième Concerto date de 1935. Contemporain de celui d’Alban Berg, « à la mémoire d’un ange », il est aussi lyrique et lumineux que le chef-d'œuvre de Berg est sombre et douloureux. 

A priori, l’on se dit que l’interprétation de Tianwa Yang conviendra particulièrement bien à ce concerto, plus sensuel, à l’écriture plus fluide. C’est en partie le cas. La chaleur de son vibrato, et son énergie extravertie sont convaincantes dans l’Allegro moderato, même si les effets sont parfois bien explicites. Dans le long Andante, elle varie avec un indéniable savoir-faire les couleurs, au risque de rompre la ligne mélodique ; l’orchestre, sans pour autant la canaliser, n’a pas la même souplesse. En revanche, dans l’Allegro ben marcato, qui termine ce concerto avec un dynamisme nouveau et quelque peu déroutant, aucune réserve : il s’accommode parfaitement de l’archet mordant, du jeu flamboyant et du sort fait à chaque note par Tianwa Yang.

On ne doute pas que Jun Märkl et l’Orchestre Symphonique de la radio de Vienne soient au diapason de la soliste. Ils lui offrent une densité et une attention qui lui laissent toute latitude pour aller aussi loin qu’elle le souhaite. Il est dommage que la prise de son, qui manque de naturel, ne le rende que partiellement.

La Sonate pour violon seul a été écrite, en 1947, pour un ensemble d’enfants violonistes jouant à l’unisson. Heureusement, il est possible de la jouer seul (et c’est ainsi qu’elle est passée à la postérité). On imagine en effet assez mal qu’un résultat satisfaisant soit obtenu à plusieurs, à moins d’une discipline de fer assez peu compatible avec l’art interprétatif.

Tianwa Yang s’y montre nerveuse dans les mouvements extrêmes (voire brusque dans le premier), mais sa sonorité flûtée fait merveille dans les Variations centrales. Elle prend tous les risques... y compris celui d’une surenchère sonore qui peut saturer notre attention. Mais là encore, la prise de son a sa part de responsabilité, avec un violon pris, semble-t-il, de très près.

Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Pierre Carrive

 

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