Le Tchèque Viktor Kalabis, un centenaire qui n’a pas été oublié 

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Viktor Kalabis (1923-2006) : Jeunesse, ouverture pour orchestre op. 7 ; Concerto pour orchestre de chambre « Hommage à Stravinsky » op. 3 ; Concerto pour violoncelle et orchestre op. 8. Miroslav Petráš, violoncelle ; Philharmonie Janáček d’Ostrava ; Orchestre de chambre Janáček, direction Viktor Kalabis. 1979-1984. Notice en anglais et en tchèque. 66’ 39’’. Supraphon SU 4334-2. 

Parmi les commémorations de l’année 2023, celle de la naissance de Viktor Kalabis, digne représentant de la musique tchèque dans la seconde moitié du XXe siècle, n’a pas beaucoup attiré l’attention. Mais ses compatriotes ne l’ont pas oublié, comme en témoigne l’album Supraphon qui nous concerne aujourd’hui, une première en CD. Ce créateur a bénéficié d’autres publications sous le même label (pages symphoniques, intégrale pour piano et musique de chambre). Pour rappeler déjà sa mémoire, Supraphon proposait en 2013 un coffret de trois disques regroupant deux symphonies, des pages orchestrales et plusieurs concertos (pour violon, trompette, clavecin, piano ou basson), des références historiques gravées entre 1968 et 1991 par des interprètes comme Josef Suk, Milan Langer, Wolfgang Sawallisch, Václav Neumann, Jiří Bělohlávek et quelques autres, dont Viktor Kalabis lui-même. Au-delà de l’intérêt offert par ce regroupement, on saluait le contenu de la notice, signée par l’épouse du compositeur, la pianiste et claveciniste Zuzana Růžičková (1927-2017), qui donna des lettres de noblesse à maintes pages pour le clavecin, Bach y compris. Les mélomanes qui possèdent ce coffret de 2013 (SU 4109-2) iront relire ce témoignage émouvant et personnalisé (sept pages en français).

Né dans l’est de la Bohême avant que sa famille ne s’installe dans la partie sud de cette région dont les forêts l’enchantent, le jeune Kalabis connaît la domination nazie qui le contraint, à la fin de son adolescence, à des travaux manuels dans une usine pendant quatre ans. Le conflit terminé, il étudie la musique au Conservatoire et à l’Académie des Arts et de la Musique de Prague, ainsi que la musicologie et la psychologie à l’université. En 1952, il prend des cours de piano auprès de Zuzana Růžičková, internée entre 1941 et 1945 aux camps de Terezin (où son père est décédé), puis à Auschwitz et à Bergen-Belsen. Elle devient son épouse en 1952 ; il lui dédiera maintes pages. Opposant au régime communiste, Kalabis travaille au département musical de la Radio tchèque de 1953 à 1972, puis se consacre uniquement à la composition. Créateur néoclassique au lyrisme sombre et souvent dramatique, inspiré par Honegger, Stravinsky ou Martinů, un peu attiré par le sérialisme en fin de carrière, Kalabis laisse un catalogue dominé par la musique orchestrale, dont cinq symphonies et de nombreux concertos. Pacifiste, il écrit en pleine guerre froide, entre 1959 et 1961, la Sinfonia pacis, deuxième de la série, qui lui vaudra des attaques politiques dans la presse tchèque, mais aussi la reconnaissance mondiale. Magistralement dirigée en octobre 1987 par Zdeněk Košler à la tête de la Philharmonie tchèque, elle figure en tête du coffret paru en 2013.

Le présent album vient compléter judicieusement cet hommage d’il y a une décennie. Il propose en effet trois partitions composées entre 1948 et 1956, offrant ainsi un panorama significatif des débuts de Kalabis. Le Concerto de chambre « Hommage à Stravinsky » op. 3 est daté de 1948, mais la première n’en sera donnée qu’en 1964. Il s’inscrit dans la ligne du Dumbarton Oaks du Russe, écrit dix ans auparavant ; Kalabis fera de ce dernier une réduction pour deux pianos. Dans le contexte tchèque tourmenté de l’époque (celle du « coup de Prague » qui installe au pouvoir le parti communiste local), ce concerto grosso d’une quinzaine de minutes, dont l’instrumentation est identique à celle de Stravinsky (dix-sept musiciens), témoigne déjà d’une belle maturité et met en évidence le lyrisme volontaire de Kalabis, en particulier dans un superbe Andante

La vaste ouverture Jeunesse op. 3 de 1951 (un peu plus de treize minutes) est une page brillante, aux accents pastoraux et festifs, qui démontre la facilité orchestrale du compositeur. Elle peut être considérée comme un espoir face à la présence communiste. Quant au Concerto pour violoncelle op. 8 (1951, révision 1956), il se nourrit à la fois de Dvořák, de Hindemith, de Bartók et de Martinů, dans un climat éminemment lyrique, que Kalabis travailla avec Miloš Sádlo (1912-2003) ; celui-ci en assura la première à Prague en 1952 sous la direction de Václav Smetáček. Le Largo central, qui fait appel à un chant populaire tchèque, est une page méditative et émouvante.

Kalabis eut l’occasion de graver ces trois partitions pour la Radio tchèque respectivement en mars 1980, janvier 1984 et février 1979. Le soliste du Concerto pour violoncelle est Miroslav Petráš (°1948), qui en souligne de belle manière les accents fervents. Cet album de circonstance permet d’approfondir la connaissance d’un compositeur talentueux.

Son : 8  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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