Premier album de la Camerata Oresund : entre carte de visite, et carte postale de l’Europe baroque
Pas de Bourrée. André Campra (1660-1744) : Suite de L’Europe Galante. Johan Helmich Roman (1691-1758) : Suite de Golovinmusiken. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour clavecin en la majeur BWV 1055. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Suite de Ouverture des Nations anciens et modernes en sol majeur TWV 55:G4. Antonio Vivaldi (1675-1741) : Concerto pour quatre violons en mi mineur RV 550 [L'Estro Armonico Op. 3]. Henry Purcell (1659-1695) : Suite de The Fairy Queen. Camerata Øresund. Peter Spissky, violon et direction. Tinne Albrectsen, Ida Lorenzen, Alison Luthmers, violon. Marcus Mohlin, clavecin. Livret en anglais, français, allemand. Juin 2021. TT 64’57. Channel Classics CCS45823
Tantôt naïf tantôt un brin présomptueux, mais très honnête, le sympathique livret a le charme de la candeur, et confirme ce que laisse deviner le programme : un tour d’Europe à l’ère baroque, autant par la propre nationalité des compositeurs (français, Roman le « Haendel suédois », allemand, italien, anglais) que par les styles musicaux ou évocations pittoresques qu’ils instillent dans ces ouvrages. On saluera le choix judicieux de cette Ouverture TWV 55:G4 qui brosse l’évolution des mœurs supposées de trois contrées, notamment danoise et suédoise : hommage patent à la région d’Øresund et son détroit qui relie les deux pays scandinaves. En filigrane, l’amour et la passion fécondent ce récital, que ce soit la dispute de Vénus et la Discorde dans l’opéra-ballet de Campra (on notera que la volage Italie est laissée de côté, même si le minutage permettait de l’inviter), ou les visions féériques et fantasmées de The Fairy Queen.
Un autre tropisme de cette anthologie bien conçue renvoie à la chorégraphie, qu’elle réponde au ressort explicite des partitions ou qu’elle relève globalement de l’ambition interprétative : « tout ce que nous touchons se transformera en danse », conclut péremptoirement la notice. Voire un peu vainement. Car hélas, de la promesse à sa concrétisation, on déchante parfois, quand l’esthétique en jeu déroge à l’idiome attendu. Dans l’introduction de L’Europe Galante, la Camerata Øresund tend ainsi à fâcheusement égaliser l’écriture pointée, et à gommer le contraste avec la seconde section. Certes, « nous aimons jouer avec les rythmes et reconnaissons volontiers nous y être livrés », concède la note d’intention. Globalement, l’exécution se distingue par sa diction précise, davantage que par une véritable variété de ton.
Même si l’équipe entend se singulariser par son entrain « communicatif et énergique, ainsi que pour son enthousiasme expressif », l’argument auto-revendiqué s’assimile au vœu pieux quand les humeurs semblent trop lissées et assagies, surtout dans des pages aussi diverses voire flamboyantes. Passe encore pour l’interprétation doucereuse et délicatement latinisante du Concerto de Bach, finement ciselé au clavecin par Marcus Mohlin. Mais le Concerto de Vivaldi, même servi par un talentueux quatuor d’archets, convoiterait une verve plus ostensible. En revanche, l’équipe septentrionale se montre très à son affaire pour alterner la caractérisation des binômes anciens puis modernes conçus par Telemann, et pour suggérer la subtilité de la féérie purcellienne. Conviant la Suite de Golovinmusiken rarement entendue au disque, ce CD (le premier enregistré par cet ensemble nordique) mérite qu’on s’y penche, même si ses propensions à l’homogénéité nous font le voyage un peu trop poli : entre aimable carte de visite et gentille carte postale.
Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 7-10 – Interprétation : 7,5
Christophe Steyne