Les chansons de Baston, tannées par les Rats du vieux monde
Flemish and French Chansons. Josquin Baston (fl. 1542-1563) : Een gilde heft syn deerne ; Languir me fais ; Dum transisset Sabbatum ; Si mon languir ; Toutes les nuyctz ; Spes mea domine ; Verhuecht u nu ; Een gilde jent reet laest naer Ghent ; Doulce mémoire ; Eheu dolor ; Lecker Beetgen en Cleyn Bier ; Lyden en verdraghen ; Fors seullement ; Si loyal amour ; Een meysken was vroech opgestaen ; Si pauper nihil offerat ; Si tu te plains ; Johannes Lupi (c1506-1539) : Dueil double deuil. Ratas del viejo mundo. Michaela Riener, soprano. Soetkin Baptist, mezzo-soprano. Anne Rindahl Karlsen, alto ; Tomas Maxé, basse. Salomé Gasselin, Garance Boizot, viole de gambe. Floris De Rycker, luth, guitare. Juin 2021. Livret en anglais, allemand, français ; paroles en langue originale (latin, flamand et français d’époque et traduction en anglais). TT 58’05. Ramée RAM 2103
Ce compositeur de la Renaissance fait partie de ceux dont on sait peu et qui alimentent même le doute sur leur identité. Dans les anthologies de l’époque, on trouve toutefois ses œuvres parmi celles de musiciens aussi notoires que Josquin Desprez, Cipriano de Rore, Rolando de Lassus ou Cristobal de Morales. Il fut publié par Tielman Susato à Anvers, par Pierre Phalèse à Louvain, attestant sa probable origine flamande, mais aussi à Vienne et Augsbourg. Des archives plaident pour sa présence en des Cours aussi variées que Cracovie, Dresde, ainsi qu’au Danemark et en Suède, accréditant l’itinérance ou amenant à se demander s’il s’agit d’une même personne qui se cache derrière ces prénoms et patronymes fluctuants (Josquin, Johannes, Jost / Baston, Basten, Paston).
Les chansons au programme proviennent essentiellement de recueils édités par Phalèse et Susato, pendant la décennie 1543-1553, alors qu’en Italie émergeait le madrigal. Trois dans le registre sacré, dont le Spes mea Domine préservé à la Bibliothèque universitaire de Rostock. Les autres dans le registre profane, en français ou en flamand. Conservée à la Bibliothèque Nationale de France, une ode funèbre à la mémoire de Jean Leleu (connu comme Johannes Lupi sous sa pseudonymie latinisée), fait suite au Dueil double deuil écrit par ce chantre de la Cathédrale de Cambrai, avec lequel Baston avait peut-être étudié.
« On salue une diction au cordeau [...], on savoure un capiteux bouquet de timbres, une texture dense, et une interprétation vive, franche et expressive qui n’hésite pas à traquer et sculpter les affects » écrivions-nous en octobre 2021 au sujet d’un récital consacré à Philippe de Monte par les Ratas del viejo mundo. Les mêmes ingrédients stylistiques s’appliquent au présent enregistrement, tout aussi prégnant, qui agrège le contrepoint et intensifie la saveur des mots. Pour autant, l’équipe prête à chaque genre le mode expressif qu’il requiert, depuis la gouaille du Een gilde heft syn deerne (rappelant l’aisance de ces chanteurs dans le répertoire des traditions orales populaires) jusqu’au piétisme d’un Dum transisset Sabbatum compact et vissé. Littéralement, la performance fait sensation.
Une captation proche et escarpée accuse une éloquence brute, sans vernis ni secours de réverbération. On aurait apprécié une perspective un peu moins sèche, mais la confrontation au texte n’en est que plus ardente. Ce que le collectif vocal peut présenter de rigide et rêche, le petit ensemble instrumental (violes et cordes pincées) vient l’assouplir et le corroyer. De ce polyphoniste méconnu, le disque dresse un portrait à fort tempérament, sur peau de chagrin. À découvrir assurément, pour compléter sa connaissance de la quatrième génération de polyphonistes de l’école flamande.
Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8,5 – Interprétation : 9
Christophe Steyne