Madrigaux et Chansons de Philippe de Monte, les derniers feux de la Renaissance éclairés par une saillante vocalité

par

Philippe de Monte (1521-1603) : Madrigaux et Chansons. Ratas del viejo Mundo : Michaela Riener, soprano ; Soetkin Baptist, mezzo-soprano ; Anne Rindahl Karlsen, contralto ; Tomàs Maxé, basse ; Salomé Gasselin, Garance Boizot, violes de gambe ; Floris de Rycker, luths, guitare. Livret en anglais, allemand, français ; paroles des chants en langue originale et traduction anglaise. Septembre 2020. TT 50’50. Ramée, RAM 2004

Philippe de Monte appartient à la dernière génération de l’école franco-flamande, un crépuscule qu’on a appris à revaloriser. Malgré son abondante et valeureuse production vocale dans les divers genres de l’époque, chantée dans les principaux foyers européens, vantée par ses contemporains, De Monte subsiste dans l’ombre de témoins plus éminents, tel Roland de Lassus. Son patronyme a pu inciter à le considérer originaire de Mons, mais selon plusieurs archives du XVIe siècle, il naquit à Malines où il reçut à la Cathédrale Saint-Rombaut son éducation musicale. On le trouve à Naples dès 1542, puis en 1568 comme Maître de Chapelle à la Cour impériale de Vienne, déplacée par Rodolphe II à Prague où il s’éteindra à l’aube du XVIIe siècle. Son écriture sérieuse se caractérise moins par sa novation que par son aboutissement, cultivant subtilité et raffinement, équilibre des proportions. Dans le sillage des antiques préceptes pythagoriciens et platoniciens, et du Quadrivium de Boèce. Un musicien de la décence, comme expression de l’harmonie cosmologique et du sentiment divin qu’elle peut éveiller chez l’auditeur.

Parmi un fonds d’une richesse exceptionnelle (une quarantaine de chansons, quelque 250 motets, et environ 1200 madrigaux qui s’étagent sur un demi-siècle, de 1554 jusqu’au seuil de l’ère baroque), le programme de ce CD a retenu une quinzaine de pièces d’inspiration pétrarquiste, en italien et ancien français, qui empruntent aux divers stades de composition. Les sources sont détaillées en page 26 du livret. Au regard d’un catalogue si vaste, dont l’essentiel reste à défricher et enregistrer (si peu de disques depuis celui du Hilliard Ensemble en décembre 1981 chez Emi), on peut regretter la relative brièveté de cet album de 51 minutes.

L’équipe des « Rats du Vieux monde » se produit essentiellement en Belgique, mais aussi en Scandinavie, à l’aise dans les traditions orales populaires autant que dans les répertoires polyphoniques institués. Et aussi dans des anthologies profanes « à chanter autour de la table » comme le Recueil d’airs à boire et à danser de Jean Boyer (musicien de la Chambre du Roi Louis XIII) même si en nos colonnes du 24 novembre dernier l’article rédigé par Jean Lacroix l’estimait bien prudemment servi pour un tel contexte épulaire.

Le parcours multiplie les configurations : soliste basse (Sortez Regretz et allegez mon cœur) et soprano (La grand’amour que mon las cœur vous porte), contrepoint pour le trio féminin (Oimè son io, sepolto in queste pense) et bien sûr à voix mixtes, même si l’absence de ténor perfore ou éprouve la palette de tessiture ! Le chant s’accompagne d’un soutien (palliatif ?) de deux violes et cordes pincées (luth, guitare) qui interpose quelques motets sous guise instrumentale : arrangement de Domine Jesu Christe, Poi ch’el moi largo pianto, et Adoramus te Christe. On salue une diction au cordeau (Ombra son io, sepolto in queste pene), quoiqu’un peu raidie dans les quatuors. On savoure un capiteux bouquet de timbres, une texture dense, et une interprétation vive, franche et expressive qui n’hésite pas à traquer et sculpter les affects : en ce sens on se demande si cette vigueur, durcie par une captation frontale et peu réverbérée, s’avère toujours conforme à la délicatesse et la modération qu’on prête au compositeur. Un surcroît d’aération, de souplesse, de nuance, n’aurait pas disconvenu. Dans l’état actuel de la discographie, ces remarques ne doivent pas dissuader la découverte de cet archipel madrigalesque, honorable tribut à un compositeur dont la profusion demeure un océan à investiguer. 

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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