Les Couperin au menu d’un concert madrilène de Benjamin Alard

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The Couperin Family. Louis Couperin (c1626-1661) : Pièces en la (Prélude à l’imitation de M. Froberger ; Allemande ; Courante ; Sarabande ; La Piémontaise) ; Tombeau de M. de Blancrocher ; Chaconne ; Chaconne de M. Couperin en fa majeur. François Couperin (1668-1733) : L’Art de Toucher le Clavecin. Le-rossignol-en-amour ; La linote efarouchée ; Les fauvétes plaintives ; Le carillon de Cithére ; Le petit-rien (Troisième Livre de Pièces de Clavecin, Quatorzième Ordre). Les Baricades mistérieuses (Deuxième Livre de Pièces de Clavecin, Sixième Ordre). Armand-Louis Couperin (1727-1789) : La Chéron ; L’Affligée ; La Françoise. Benjamin Alard, clavecin. Février 2020. Livret en anglais et espagnol. TT 70’27. MarchVivo MV007

Louis, François, Armand-Louis : ces trois prénoms réunis rappellent le souvenir de Gustav Leonhardt qui en mai 1987 pour Philips, autour des Préludes de L’Art de Toucher le Clavecin, rassemblait ces compositeurs au sein d’un disque magistral qui reste un des plus élevés jamais dédié à cette dynastie. Plus récemment, la sélection de pièces en la fut abordée par Benoit Babel sur un onctueux instrument de Guillaume Rebinguet Sudre, et déjà par le jeune Benjamin Alard dans un CD consacré au Manuscrit Bauyn, voilà quinze ans (Hortus, 2008). Émanée d’un concert sous l’égide de la Fundación Juan March, la présente anthologie semblera d’un intérêt inconstant, et çà et là distrait par une salle pas toujours silencieuse, dont les applaudissements contribuent du moins à l’ambiance et à délimiter les strates du récital.

Considèrera-t-on que la première partie, vouée à l’aïeul, manque d’aisance, de liberté poétique dans l’Allemande, la Sarabande, une Chaconne fatiguée, de souffle court ? Une déception qu’entraîne peut-être une captation promiscue voire prosaïque du clavecin d’esthétique franco-flamande (Keith Hill d’après Ruckers/Taskin) : une proximité qui s’affilie une dimension domestique. Ce qui certes souligne l’impétuosité de La Piémontaise, et n’empêche pas le Tombeau de M. de Blancrocher de s’éveiller à une respiration émue. C’est cette humilité qui singularise aussi le parcours dans les huit Préludes de François, interprétées dans un giron intimiste, comme jouées pour soi : sans le moindre fard didactique, mais s’ouvrant à une introversion d’art et d’essai où le clavier se plaît à s’ébrouer (Huitième), même si parfois réfréné entre ardeur et affect (Troisième). Ces miniatures se coupent des corsets en taille de guêpe. On saluera en tout cas les mignonnes arabesques en imitation de l’Allemande, tout aussi ajustées dans leur jupon de taffetas.

Dans le Quatorzième Ordre, le programme remise Le Rossignol-vainqueur, La Julliet, le Double du Rossignol-en-amour, mais cisèle celui-ci avec une suggestive faconde, pépiant sur le petit jeu. Par leur phrasé à nu, insidieusement entêtant, les Fauvétes ravissent l’âme par leur chant plaintif, -un des moments de grâce de cet album. En revanche, les batifolages enrégimentés du Petit-rien, les célèbres Carillon de Cithére et Baricades mistérieuses avivés d’un banal panache n’inspirent guère la subtilité et le raffinement que le livret associe à ce répertoire. On goûtera plutôt les trois pièces d’Armand-Louis, lesquelles sous les doigts de Benjamin Alard résonnent d’une touchante modestie qui ne doit rien à la galanterie poudrée, si ce n’est une Françoise pulvérulente, triturée à chaux. La recherche d’une élégance épurée, comme rendue à son substrat, la probité des sentiments, mais une expression parfois lyophilisée : ces ingrédients pourraient résumer la commune alchimie qui pour ces trois Couperin fut distillée à l’auditoire madrilène, jusqu’à cette Chaconne en fa majeur offerte en bis.

Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

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