Louis et François Couperin, mégissés sur un onctueux clavecin

par

Louis Couperin (1626-1661) : Pièces en la (Prélude à l’imitation de M. Froberger ; Allemande, l’amiable ; Courante, la mignonne ; La Piémontaise ; Sarabande croisée), Pièces en ré (Courante ; Volte & double de Benoit Babel ; Canaries ; Chaconne). Chaconne ou passacaille en sol. François Couperin (1668-1733) : La Zénobie ; La Visionnaire ; Les Grâces naturelles ; Les Vieleux et les Gueux ; Les Invalides, ou gens estropiés ; Le Tic-toc choc ou Les Maillotins ; L’Arlequine ; Le Turbulent ; L’Attendrissante ; La Verneuil ; La Dodo ou l’Amour au berceau ; La Florentine ; Les Barricades mystérieuses. Benoît Babel, clavecin. Avril 2021. Livret en français et anglais. TT 63’06. Paraty 3221117

L’oncle et le neveu constituent les deux pans de ce programme proposé par Benoît Babel, professeur de clavecin au Conservatoire de Versailles. Onze pièces de Louis, groupées par tonalité dans divers genres (Allemande, Courante, Volte dont un double concocté par l’interprète), se referment sur deux chaconnes, dont la superbe ré mineur (plage 10) ici servie avec panache. Depuis le Prélude à l’imitation de M. Froberger dont les irrégularités, les respirations mais aussi l’éclat se trouvent magistralement traduits, jusque la grâce de la Sarabande croisée : Benoît Babel s’approprie avec justesse cet univers de contraste.

Incluant quelques tubes (Le Tic-toc choc, Les Barricades mystérieuses), la sélection de treize pièces de François puise principalement aux Livres médians, dont deux extraits des Fastes de la grande et ancienne Mxnxstrxndxsx qui concluent le Onzième Ordre. Le quatrième Livre fournit La Visionnaire et L’Arlequine, le Premier seulement La Florentine. Les grands airs de La Zénobie ressortent avec ce qu’il faut de caractère. Les Grâces naturelles se confisent pour le plaisir de l’oreille. Les Invalides, ou gens estropiés restent fiers dans leur claudication. La ritournelle de Les Vieleux et les Gueux s’impatiente jusqu’au déferlement qui prodigue la poigne attendue, réglée au quart de tour de manivelle.

La clarté des idées et l’intelligibilité polyphonique règnent (on imaginerait mal une Turbulente plus nettement découpée), le jeu n’est jamais confus… quoique la sonorité parfois, en raison de la résonance et de l’opulence du bas medium. Masquant par exemple la ligne de chant de La Dodo ou l’Amour au berceau, coulée dans une vasque où les lignes s’emboivent, mais ne séduisent pas moins par leur onctuosité. Sur certains systèmes de reproduction à large spectre, prévenons aussi qu’un sourd grondement mécanique est susceptible de se laisser percevoir, comme dans le tricot des Maillotins, ou les plaquages de L’Arlequine.

Daté de 1667, l’instrument anonyme conservé au Museum of Fine Arts de Boston inspira à Guillaume Rebinguet Sudre la réalisation d’une copie, présentée dans le livret. Sa facture « incarne idéalement les goûts réunis, idéal esthétique si cher à François Couperin » selon Benoît Babel. Même si la générosité harmonique du clavecin tel qu’il est capté rivalise un peu avec le lyrisme qui voudrait nument se dessiner, cette concurrence contribue au charme puissant qui se dégage de ce récital, animé avec toute la sensibilité souhaitable. Le cordage participe certainement à cette souple palette qui évite toute sécheresse, et nous vaut une Attendrissante dont les moires et les alanguissements s’infusent de la plus malléable émotion : une ravissante perspective de l’abandon. Tout au long de cette heure, les mélomanes qui redoutent la dureté de certains clavecins et clavecinistes succomberont ici à une onction qui relève volontiers de l’art céroplastique.

Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 



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