Les LGT Young Soloists dans un Beethoven très sympathique, mais pas vraiment "recomposé" 

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour violoncelle et piano N° 3 (arr. pour violoncelle et ensemble de cordes par Paul Struck) ; Sonate pour violon et piano N° 9 « à Kreutzer » (arr. pour violon et ensemble de cordes par Paul Struck). Luka Coetzee, violoncelle ; Miclen LaiPang, violon ; LGT Young Soloists ; Alexander Gilman, direction. 2020. 61’19. Livret en anglais. 1 CD Naxos 8.579081.

La plus jouée des sonates pour violoncelle et piano, et la plus célèbre de celles pour violon et piano, dans des arrangements tout récents pour violoncelle, ou violon, et ensemble de cordes ? En cette fin d’« année Beethoven », le risque est grand pour que cela ne suffise pas à aiguiser notre appétit du Grand Sourd... La pochette, au look disco des Seventies, annonce fièrement « Beethoven recomposed ». Et l’on apprend que les protagonistes, les LGT Young Soloists, ont entre 14 et 23 ans. Alors, en effet, peut-être allons-nous être surpris ? Cette « recomposition » sera peut-être davantage qu’une réécriture de la seule partie de piano, avec tous les modes de jeux que permettent les instruments à cordes, et auxquels ces tout jeunes instrumentistes sauront donner un parfum bien de notre temps ?

À l’écoute, assez rapidement, nous nous rendons compte que ce ne sera pas le cas. Les parties de violoncelle, ou de violon, sont textuellement les mêmes, et la transcription pour cordes de la partie de piano, tout à fait bien réalisée, ne recherche ni l’audace ni la nouveauté. Paul Struck s’est visiblement placé du côté de la fidélité au texte. Le résultat est plutôt plaisant, mais assez convenu. On peut regretter que seule la partie de piano ait été transcrite. Il est vrai que la Sonate à Kreutzer, avec son fameux « scritta in uno stilo molto concertante, quasi come un concerto » (écrit dans un style très concertant, presque comme un concerto), appelait en effet ce genre de transcription, qui conserve le côté concertant entre le violon et la piano. Et pourtant, pour chacune des deux sonates ici présentées, en imaginant une réécriture de l’ensemble de la partition, on se serait en effet davantage rapproché de la « recomposition » annoncée. C’est ce qu’avait déjà fait, pour cette Sonate à Kreutzer, un contemporain de Beethoven (et peut-être le compositeur lui-même), avec un très étonnant arrangement, déjà plusieurs fois enregistré, pour quintette à cordes (avec deux violoncelles). Pour le coup, la partition est entièrement, et brillamment repensée, et nous sommes réellement en présence d’une œuvre « recomposée ». Ce n’est donc pas tout à fait le cas ici.

Pour la Sonate pour violoncelle et piano N° 3, Op. 69, la soliste est Luka Coetzee, la benjamine des LGT Young Soloists, qui venait tout juste d’avoir quinze ans au moment de l’enregistrement. Elle s’en tire tout à fait honorablement, et si elle doit encore trouver une voix instrumentale plus personnelle, elle a déjà de belles attitudes musicales. 

L’Allegro ma non tanto réserve de jolies nuances piano ; il est dommage que certains tuttis paraissent parfois un peu lourds et statiques. Le Scherzo, avec ses jeux en imitation, est sans doute le mouvement de cette sonate qui se prête le mieux à cette transcription. Dans l’Adagio cantabile, c’est l’interprétation qui pose problème : il se traîne et se répand en un romantisme éploré. Heureusement, il débouche sur un Allegro vivace beaucoup plus convaincant, avec en particulier des violons d’une virtuosité qui laisse admiratif.

Le soliste de la Sonate pour violon et piano N° 9, Op. 47, dite Sonate à Kreutzer, est Miclen LaiPang. À vingt-quatre ans, il est (si l’on excepte Alexander Gilman, le directeur artistique des LGT Young Soloists, qui les entraîne depuis son violon) le plus âgé de tous les instrumentistes de cet enregistrement. Il possède sa propre sonorité, délicate et subtile. Ses intentions expressives sont parfois très légèrement en-deçà de celles de l’orchestre (ce que l’on ne ressent pas en concert), mais sa conception de cette œuvre si exigeante est déjà bien aboutie. 

L’introduction (Adagio sostenuto) nous promet une belle réussite. Le Presto (sans la reprise) qui suit entretien cet espoir, avec malgré tout quelques lourdeurs, peut-être dues à des différences de conception entre le soliste, qui va toujours de l’avant, et l’orchestre, qui parfois prend plus son temps. Dans l’Andante con variazioni, il y a de très jolies trouvailles d’orchestration, avec des dialogues entre le soliste et le premier violon de l’orchestre (Alexander Gilman) extrêmement plaisants ; il est dommage que quelques ralentis et lenteurs viennent légèrement affadir une réalisation très accomplie. Le Presto final (à nouveau sans la reprise), avec son écriture fuguée, se prête très bien à cet arrangement, et les musiciens, grâce à leur précision et la netteté de leur jeu, sont ici dans leur élément.

Dans tout cela, on ne s’ennuie pas une seconde. Il se passe toujours quelque chose, et si par moments on a tendance à se dire que c’est un peu « too much », on écoute avec un sourire bienveillant. Des attaques trop brutales sont en revanche assez regrettables, mais la faute en incombe très probablement à la prise de son, car rien dans le jeu de tous ces jeunes n’est dur, bien au contraire. 

On peut imaginer que ces très jeunes solistes, dont la plupart doivent être encore dans leurs études musicales, bénéficient des conseils avisés de leur fondateur, Alexander Gilman, excellent violoniste également réputé comme pédagogue, et lui-même enfant prodige. Leur plaisir de jouer s’entend... et se voit, sur les vidéos que l’on peut trouver sur Internet, où ils s’amusent parfois comme des fous. Certes, il y a dans tout cela un certain kitch, y compris dans certaines inflexions qui ne sont pas loin de devenir des effets faciles. Mais tout cela est diablement bien réalisé. Après quatre albums de « petites pièces », les LGT Young Soloists, avec ces deux grands chefs-d’œuvre de Beethoven, franchissent un cap. Nous ne pouvons qu’encourager avec enthousiasme ces jeunes musiciens aussi talentueux.

Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8

Pierre Carrive

 

 

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