François Couperin revu et cuisiné par Strauss : une interprétation à déguster hors diète

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Richard Strauss (1864-1949) : Tanzsuite nach Klavierstücken von François Couperin ; Divertimento aus Klavierstücken von François Couperin. Orchestre symphonique de Nouvelle Zélande, Jun Märkl. Octobre 2019. Livret en anglais, allemand. 66’03. Naxos 8.574217 

Danseuses bleues de Degas en couverture, on ne peut parier que les illustrateurs se soient cassé la tête pour coller au sujet. Plus des trois quarts de la notice du CD retracent une biographie (intéressante mais banale) du compositeur, et les deux paragraphes consacrés aux pièces du programme restent assez pauvres d’information. Elles s’inspirent de François Couperin, en particulier son œuvre pour clavier.

Les pâtisseries postromantiques de l’auteur incluent des passages subtils, ciselés (les épisodes de Zerline et Donna Anna dans Don juan), quasiment chambristes (l’épouse du héros dans Heldenleben), qui parfois se plient à la danse (le Tanzlied du nietzschéen Also sprach Zarathustra). En marge de ces célèbres poèmes symphoniques et des opéras vociférateurs (Salomé, Elektra), Strauss céda à la veine néoclassique, ainsi dans son opéra Ariadne auf Naxos dont il exfiltra la Suite Le Bourgeois gentilhomme, en collaboration avec Hofmannsthal qui remania le théâtre de Molière. Y affleurent quelques allusions parodiques : Verdi (La donna è mobile), Wagner (le thème des vagues du Rheingold pour évoquer les saumons), et même l'autocitation (bêlement des moutons de Don Quichotte pour accompagner le gigot).

Cinq ans après Le Tombeau de Couperin de Ravel, la Tanzsuite emprunte ses mélodies aux recueils de François Le Grand, et relève autant de l’hommage que du pastiche. Elle fut représentée comme ballet au Wiener Staatsoper en février 1923. L'écriture, sirupeuse et noblement affectée, fantasme le style attribué au Baroque français. À l’instar de Tchaïkovski dans ses chorégraphies galantes (scène 12) de La Belle au Bois dormant. Voire des rengaines poudrées qui accompagnent la recette de la poularde de Bresse au homard de Roscoff, dans L’Aile ou la cuisse de Claude Zidi ? Une galerie d’images d’Épinal, ingénues dans le ton et ingénieuses dans leur langage, passementé d’un écheveau de trilles, mordants, appoggiature et roucoulades d’un effet délicieusement suranné. Comme distillée dans un fantaisiste alambic. Cela confié à une trentaine d'instrumentistes, essentiellement des cordes rehaussées de quelques vents, auxquels s’ajoutent harpe, célesta, clavecin pour la couleur locale (Le carillon de Cythère).

Une vingtaine d’années plus tard, Clemens Krauss fut l’instigateur de Verklungene Feste, Tanzvisionen aus zwei Jahrhunderte, qu’il présenta à Munich en avril 1941. Le recueil pioche encore au même catalogue des Livres de Couperin pour en extraire une série de vignettes, plus grassement orchestrées que la Tanzsuite, quoique moins ornementée. Ce Divertimento fut publié comme opus 86. Inutile d’y chercher la complexité harmonique du grand Strauss, à défaut on pourra succomber à la parure instrumentale qui n’y va pas avec le dos de la cuiller (Musette de Choisy). L’amateur des originaux pourra se délecter de quelques favoris, sous une nouvelle guise (Tic-toc-choc). Ou se dire que Le Trophée transformé en Marche simili-ramiste, avec force percussion à la turque, interroge quant au style et au bon goût.

À notre connaissance, le seul disque qui propose ce couplage fort logique est celui d’Hiroshi Wakasugi (Denon, juillet 1989). De toute façon, la discographie reste ténue : pour le Divertimento, on citera l'Orpheus Chamber Orchestra (DG, 1992) et Gerard Schwarz à la tête du New York Chamber Symphony (Elektra Nonesuch, 1987). La Tanzsuite, gravée par Arthur Rodzinski en mai 1958 (avec le Philharmonia, HMV), figurait dans la célèbre anthologie de Rudolf Kempe (Emi Electrola). Charles Dutoit l’a aussi enregistrée avec le Sinfonietta de Montréal (Decca, mai 1992). 

L’intérêt du présent disque est de préserver l’idiome de chaque œuvre, dont Jun Märkl radicalise l’esthétique. La Tanzsuite plus baroquisante, comme revue sous une lumière HIP, appliquant un éclairage « dix-septièmiste » (verdeur des traits d’archets, expression ébarbée) à une création qui est déjà en soi un exercice de style. Comme voulant détrousser les joliesses, tondre les fanfreluches, pour en revenir à un hypothétique tableau originel. Pour autant, malgré l’élagage, les lignes de l’orchestre néo-zélandais sont précises mais dilatées, l’expression infatuée ; et du sucre, du sucre, une ruche à miel ! Décalaminer les stucs pour mieux repeindre à trois couches et surenchérir sur le vernis straussien. La Wirbeltanz explose de couleurs, mais préférerait-on un scintillement plus délicat ? L’interprétation du Divertimento, pareillement, ne chinoise pas la soupe et la sert épaisse, luisante, avec des gros morceaux de romantisme dedans. Ces Ombres errantes, on en sort confit. De toute façon, de telles partitions, autant ne pas les trahir par édulcoration. La plantureuse captation accuse encore l’effet guimauve et boule-de-gomme. Si le cœur et l’estomac vous en disent, hors période de Carême et autres restrictions diététiques, vous pouvez accorder l’oreille à cet étrange Strauss des fourneaux, plus cuisinier que rôtisseur, libre d’accommoder à sa sauce. Qui nous est ici crémée et caramélisée à la louche, jusqu’à saturation. L’attrait dépendra de la gourmandise et de la capacité gastrique de l’auditeur.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 4 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8

 

 

 

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