Premier enregistrement acoustique pour La Dixième Symphonie (Hommage à Beethoven) de Pierre Henry

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Pierre Henry (1927-2017) : La Dixième Symphonie (Hommage à Beethoven). Benoît Rameau, ténor – Orchestre Philharmonique de Radio France – Orchestre du Conservatoire de Paris – Chœur de Radio France – Le Jeune Chœur de Paris – Richard Wilberforce, chef de chœur – Pascal Rophé, Bruno Mantovani et Marzena Diakun, direction. 2020. 74’08. Livret en français et en anglais. 1 CD Alpha 630.

Pierre Henry a beaucoup fréquenté les symphonies de Beethoven, en tant que pianiste, dans les fantastiques transcriptions de Liszt. D’une difficulté redoutable, on peut l’imaginer devoir reprendre inlassablement certains passages, s’y acharner, les triturer avec toutes les méthodes que tous les instrumentistes connaissent, même quand ils ne sont pas également compositeurs. Il raconte d'ailleurs combien ce travail le « fascinait parce que Beethoven avait inventé des mélodies en peu de notes et que ces mélodies étaient très fortes, aussi fortes qu’un coup de tonnerre, qu’une vague de la mer ou que les sirènes. » C’est donc à la suite de ce travail de décorticage que Pierre Henry a conçu une Dixième Symphonie, à partir de tout ce matériau contenu dans les neuf symphonies de Beethoven.

Il existe maintenant quatre versions de cette œuvre. Celle de cet enregistrement, qui date de 2019 (sous-titrée Hommage à Beethoven), fait suite aux trois versions électroacoustiques de 1979, 1988 et 1998. La première, sur bandes magnétiques, durait 2 heures, et n’a pas fait l’objet d’un enregistrement commercial ; elle consistait en un assemblage d’extraits de symphonies de Beethoven, jouées par un vrai orchestre, mixées, coupées, juxtaposées... Pour la deuxième, qui durait 53 minutes et a été enregistrée (Philips, épuisé), le compositeur a ajouté ses propres sons. Quant à la troisième, elle en est un remix, à peine plus long ; cette fois Beethoven y est en arrière-plan, « avec des battements, des transes électroniques, des scintillements déphasés, des mouvances de filtres, des ajouts de fréquences, des doublages de réverbération » selon le compositeur (enregistrement Universal Music).

La quatrième version, uniquement acoustique, se rapproche de la première, dans le sens où il n’y a que du Beethoven. Les partitions pour trois orchestres ont été éditées par la Maison ONA à partir de ce qu’avait laissé Pierre Henry : des extraits musicaux collés sur de grandes feuilles, et des enregistrements réalisés sur trois magnétophones (d’où les trois orchestres). Mais les précédents montages avaient été réalisés artificiellement. Il était possible d’arrêter le son d’une manière totalement nette, sans aucune réverbération. Les contrastes dynamiques pouvaient être extrêmes, sans aucune préparation, aussi infime soit-elle. Un passage pouvait être répété en boucle de façon parfaitement identique, ou inversé en conservant exactement les mêmes caractéristiques. Toutes choses que des instrumentistes ne peuvent réaliser de la même façon sans l’aide de la technologie. 

Cette version a été créée en concert, à la Cité de la Musique, le 23 novembre dernier. Les trois orchestres, constitués de 150 musiciens, venus de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et des jeunes de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, étaient disposés en U. Pour le dernier mouvement, ils étaient rejoints par 70 choristes du Chœur de Radio France et du Jeune Chœur de Paris (préparés par Richard Wilberforce) et par le ténor Benoît Rameau, tous impeccables mais très peu sollicités : seulement un très court extrait verbatim de l’Ode à la Joie de la Neuvième Symphonie, puis un accord qui en est également issu, mais qui débouche superbement sur les trois minutes de toute la partie en mineur (qui vient en principe d’un tout autre accord) du début de l’Allegretto de la Septième Symphonie, jouée à l’unisson par les trois orchestres, sans aucun changement de texte. Mais la spatialisation des trois orchestres fait que, malgré tout, cela sonne tout à fait différemment. L’œuvre se termine ainsi, dans ce calme qui n’a pas été, loin s’en faut, la caractéristique de tout ce qui a précédé, tant Pierre Henry a surtout puisé, pour cette Dixième Symphonie, dans les passages vifs et animés des neuf ouvrages de Beethoven.

Cet enregistrement a été réalisé à l’occasion de ce concert. Bien que la pochette soit assez évasive à ce sujet, à l’écoute on comprend qu’il s’agit d’un live, avec éventuellement quelques raccords pris sur une répétition, tant on entend de bruits d’orchestre (pages tournées surtout) et du public (quelques toux, peu nombreuses heureusement). Quand on écoute au casque, on est un peu gêné. Même si l’on peut en comprendre les raisons économiques, c’est dommage. D’autant qu’une version binaurale est proposée, en téléchargement, à tout acheteur de l’enregistrement. Elle permet, pour ceux qui ont l’équipement adéquat, de recréer au casque la sensation de la 3D. Même si le résultat est passionnant, et que l’entreprise mérite absolument d’être saluée, nous pouvons regretter qu’un événement de cette importance n’ait pas bénéficié de conditions d’enregistrement plus ambitieuses.

Cela ne nous empêche pas d’apprécier la performance des instrumentistes, et surtout des chefs d'orchestre Pascal Rophé, Marzena Diakun et Bruno Mantovani (qui est aussi compositeur, et à qui l’on doit Beethoveniana, une pièce de 12 minutes pour quatuor à cordes qui reprend un peu le même principe d’utilisation d’extraits – mais en les déformant –, avec le fabuleux matériau que Beethoven a laissé avec ses dix-sept chefs-d’œuvre pour cette formation). Il s’agit en effet pour les musiciens d’être capables de jouer un passage d’une symphonie pendant que les collègues jouent d’autres passages d’autres symphonies, ou alors, ce qui est encore plus perturbant, jouent le même passage, mais de façon décalée. À aucun moment, nous n’avons le sentiment d’un tangage qui menacerait l’édifice.

Bien entendu, il n’est pas question de juger de la profondeur et du fini de chaque phrase ou motif de Beethoven. La nécessité technique de maîtriser un timing extrêmement rigoureux empêchait une interprétation trop expressive, en particulier pour les masses instrumentales de quelque importance (cordes). Mais quelques solos des bois sont particulièrement remarquables, et suscitent leur propre émotion, au-delà de celle qui nous est proposée par Pierre Henry.

Dans le livret, Pierre Henry déclare : « Au fond, je préfèrerais que l’on ne cherche pas, de toutes ces symphonies entremêlées, à reconnaître la provenance des citations. Que Beethoven ne soit pas trop connu ! » Malheureusement, quand on fréquente assidûment les symphonies de Beethoven depuis plusieurs décennies, c’est un vœu pieux. Cela n’empêche pas un très émouvant voyage, un peu comme quand on repense à notre passé : les événements ont eu lieu, de toutes sortes, et on ne les déforme pas ; mais ils se répondent les uns aux autres, ils se mélangent, se complètent et se contredisent, et au final, c’est bien notre histoire à nous, unique et, par là, précieuse entre toutes.

Pierre Carrive

Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 7 

 

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