Les Quatuors énigmatiques de Krzysztof Meyer

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Krzysztof Meyer (°1943) : Quatuors à cordes n° 13 op. 113, n° 14 op. 122 et n° 15 op. 131. Quatuor Wieniawski. 2015 et 2022. Notice en polonais et en anglais. 69.40. Dux 1928.

Fondé en 1998 par des membres de l’Orchestre de chambre Amadeus de la Radio polonaise, le Quatuor Wieniawski (Jarosław Żołnierczyk et Mirosław Bocek, violons ; Lech Bałaban, alto et Maciej Mazurek, violoncelle) se consacre depuis sa création à l’approfondissement de la musique polonaise, son répertoire s’étendant de la période classique jusqu’à la musique de notre temps. On compte à son actif des gravures de Szymanowski, Bacewicz ou, déjà, de Meyer, dont ses treize premiers quatuors (quatre parutions entre 2009 et 2013 pour Naxos). Les Wieniawski poursuivent leur approfondissement de ce vaste cycle par les trois partitions composées au cours de la décennie 2010. 

Compositeur prolifique, le Polonais Krysztof Meyer compte à son actif un vaste catalogue, au sein duquel on découvre un opéra, un oratorio, de nombreuses pages de musique de chambre ou pour instruments solistes, mais aussi de la musique concertante et orchestrale. Nous nous sommes fait l’écho de quatre de ses neuf symphonies, dont l’audition révèle un créateur passionnant et original, porteur de messages universels, ouvert sur le monde et ses dérives aussi bien que sur le nécessaire espoir à entretenir face à l’avenir. Nous renvoyons le lecteur à ces textes pour des aspects biographiques plus détaillés, tout en rappelant que Meyer a étudié la composition avec Penderecki à Cracovie et a suivi les cours de Nadia Boulanger à Paris entre 1964 et 1968. Il est aussi l’auteur d’une biographie de Chostakovitch, traduite en plusieurs langues, dont le français, pour publication par les éditions Fayard en 1994. 

La plupart des pages pour cordes de ce créateur ont acquis, au fil du temps (le Quatuor n° 1 est daté de 1963, juste avant le départ pour Paris), des couleurs de plus en plus marquées et une palette de timbres diversifiée. La notice de Thomas Wesselmann, rédacteur habituel de la présentation des œuvres de Meyer chez Dux, rappelle la remarque de Goethe qui, dans une lettre à son ami, le musicien Philipp Christoph Kayser, écrivait qu’un compositeur bien informé est capable d’accomplir plus avec une paire de violons, un alto et un violoncelle qu’avec un orchestre entier. L’auteur de Faust avait ajouté ailleurs que la musique de chambre était un espace dans lequel chaque instrument discourait avec les autres tout en conservant sa singularité. Ceci s’applique très bien aux œuvres de Meyer.

Le Quatuor n° 13 est construit en cinq mouvements joués attacca. Les deuxièmes et quatrièmes, de très brève durée (un peu plus d’une minute chacun) font contraste avec les autres, qui ont de plus larges proportions. L’intensité règne, avec des climax expressifs, et une variété de sons qui se diversifient au sein du Calmo initial, de l’Appassionato central et du Prestissimo conclusif. Cette page de 2009/10 est encore imprégnée d’échos du sonorisme des années 1960, époque au cours de laquelle les compositeurs polonais tentaient de nouvelles approches expérimentales de textures et d’audacieuses variations de timbres. Une œuvre âpre, parfois austère, qui vibre aussi d’une effervescence lyrique qui sait se révéler fébrile.

Composé en 2014, le Quatuor n° 14 est une partition tourmentée en trois mouvements ; il s’ouvre par un Lento qui laisse les violons et l’alto entamer une conversation qui semble passer d’un caractère privé à une phase plus énergique au sein de laquelle les instruments, y compris dans un deuxième Lento, sont à la recherche de couleurs variées et de registres différents, glissandi compris. On sent sourdre une anxiété qui se fait jour dans l’Inquieto final, avec un violoncelle presque en rupture et une conclusion qui associe la méditation à des sollicitations d’un émoi qui est maîtrisé. Le Quatuor n° 15, créé en Allemagne lors du festival de Gohrisch par le Quatuor Lutoslawski le 29 juin 2018, est lui aussi joué attacca. Ses cinq mouvements semblent se situer dans une recherche de textures et de lignes mélodiques qui se fragmentent de façon irrégulière et permettent aux instruments, tout en conservant leur légitimité individuelle, de créer des dialogues à quatre voix qui se répondent entre phases animées (Feroce/Presto) ou contemplatives (Calmo). 

Krzysztof Meyer apparaît, dans ces quatuors, plutôt en phase de recherches structurelles, entre intellectualisme et poids expressif ; ils sont en tout cas moins accessibles pour l’auditeur que ses symphonies, dont le langage et l’expansivité se traduisent par de fortes charges émotionnelles. L’audition exige une réelle disponibilité pour déchiffrer un parcours face auquel le Quatuor Wieniawski, engagé et allusif à la fois, est à la hauteur d’un langage qui stimule l’esprit plutôt que le cœur, entre sobriété et ascétisme roboratif.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

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