« Libre ! » par l’Orchestre national d’Ile-de-France : un programme sous le signe de l’émancipation
Du 10 au 18 mai, l’Orchestre national d’Île-de-France a présenté dans sept villes franciliennes un programme placé sous le thème « Libre ! », comprenant la cantate Hiob (Job) pour solistes, chœur et orchestre de Fanny Mendelssohn. Ce programme était complété par Leonore III de Beethoven et la Messe n° 5 de Schubert.
Au XIXe siècle, époque où l’on aimait classer les formes artistiques comme la peinture ou la musique, les œuvres pour orchestre et chœur étaient considérées comme un genre majeur, souvent réservé aux hommes. Les femmes, déjà peu autorisées à composer, y accédaient encore plus difficilement. Le titre de ce concert, « Libre ! » souligne ainsi l’audace de Fanny Mendelssohn, compositrice remarquable et musicienne aux multiples talents. Certains avancent même qu’elle surpassait son frère Félix, et qu’il aurait apposé sa signature sur certaines de ses œuvres. Si ce débat reste à trancher par les spécialistes, sa cantate Hiob témoigne d’un talent d’écriture indéniable.
Avant de faire entendre cette œuvre, le chef d’orchestre Case Scaglione prend la parole pour rappeler les conditions difficiles que connaissait Fanny. Il cite une lettre de son père, Abraham Mendelssohn, écrite en 1820 : « La musique deviendra peut-être sa profession [de Félix], tandis que pour toi, elle ne doit être qu’un ornement, jamais la racine de ton être ni de ton action. » Le chef en profite aussi pour rappeler les grandes lignes de l’histoire de Job.
Composée en 1831 mais publiée seulement en 1992, la cantate est structurée en trois parties. Elle est d’emblée marquée par une fugue, référence explicite à Bach, que Fanny partageait avec son frère. Cette empreinte contrapuntique parcourt toute l’œuvre. Les deux premières sections, le chœur « Was ist ein Mensch ? » et l’arioso « Warum verbirgst du dein Antlitz ? », instaurent une atmosphère grave. Vient ensuite une nouvelle fugue, cette fois plus enjouée : « Leben und Wohltat hast du mir getan ». Écrite pour solistes, chœur et orchestre, l’interprétation entendue ici ne mobilise que le chœur et l’orchestre. Les parties solistes ont-elles été absorbées dans le chœur ? Malheureusement, le chœur de Radio France manque de précision et de rigueur, rendant l’interprétation assez tiède, en contraste avec l’orchestre, plus dynamique.
Mais auparavant, en ouverture de programme, la Leonore III de Beethoven fait entendre sa vigueur. Lors du passage de la fanfare, la trompette solo rejoint les coulisses pour produire un effet d’éloignement saisissant. Case Scaglione mène l'orchestre en sorte que toutes les substances musicales trouvent leurs meilleures consistances dans la dernière section triomphante.
La deuxième partie du concert est consacrée à la Messe n° 5 de Schubert, véritable monument d’environ une heure. Le chœur de Radio France, cette fois plus homogène et attentif aux détails, ouvre l’œuvre avec douceur et finesse. La soprano Chiara Skerath, dotée d’un timbre légèrement cuivré et d’une voix très vibrante, se distingue par une interprétation résolument opératique. L’ensemble de l’œuvre recèle d’ailleurs de nombreux passages au caractère théâtral affirmé, comme si Schubert y explorait des effets dramatiques sous prétexte d’un cadre sacré : une autre manière de liberté musicale. Dans l’acoustique de la Grande Salle Pierre Boulez, le quatuor vocal résonne parfois un peu déséquilibrée : les voix masculines, celles du ténor Robert Murray et de la basse Thibault de Damas, semblent moins présentes, peut-être en raison de l’ambitus de leurs partitions. L’alto Marie-Luise Dressen, quant à elle, séduit par une sonorité riche et chaleureuse qui contraste joliment avec celle de la soprano.
La messe offre plusieurs surprises musicales : un Gloria spectaculaire couronné par une grande fugue, un Credo dont l’écriture tranche avec le reste, une Hosanna aux triolets dansants, et un Agnus Dei conclusif d’une simplicité inattendue.
Avec ce programme audacieux et contrasté, l’Orchestre national d’Île-de-France et Case Scaglione rendent justice à des œuvres rarement entendues en concert qui ne manquent pas de caractère. En mettant à l’honneur la cantate de Fanny Mendelssohn, ils rappellent combien certains chefs-d'œuvre ont dû attendre des siècles pour voir le jour sur scène. Ce concert redonne à la liberté, musicale autant qu’historique, toute la résonance aux chefs-d’œuvre méconnus.
Concert du 13 mai 2025, Philharmonie de Paris.
Victoria Okada
Crédits photographiques : Sonja Werner