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Modeste, Lucilin défriche et affine sa « qualité sans snobisme "

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United Instruments of Lucilin ouvre la saison de musique contemporaine à la Philharmonie de Luxembourg (et, par la même occasion, le cycle Lucilin: Now!, nouvelle incarnation de Musiques d’aujourd’hui, qui interroge sur « comment la musique contemporaine va sauver le monde ») avec un doublé Saunders / Lang, alléchant et dissemblable -même si les deux se rejoignent sur le parti-pris de faire entendre des sons, ces phénomènes vibratoires délivrés (jusqu’à un certain point) des codifications de la musique.

Au travers de Stirrings Still III (je choisis l’adverbe à dessein, tant la pièce de Rebecca Saunders apparaît translucide, délicate comme une crêpe dentelle de Bretagne), quatrième volet d’une série de compositions-collages, créé à Innsbruck en 2019, la compositrice anglaise joue avec les frontières du silence, celles dont l’interprète s’approche, qu’il effleure de son doigté, de son souffle, de son archet, quand il donne existence à la partition, ces notes qui émergent, indécises, lignes tracées d’un bout de crayon taillé, affuté, là où il n’y avait rien, affleurement du son sourdant du néant, hésitant à y retourner aussitôt, tel un faon apeuré dans la pénombre. Ce jeu fantomatique est conforté par une disposition des musiciens (un peu) sur scène -mais aussi dispersés dans la salle, son couloir ouvert, l’accès aux coulisses-, qui se meuvent, lentement, de façon visible, de façon cachée (la contrebasse passe ainsi de l’arrière-scène droite à l’arrière-scène gauche) : errante, gravement sereine, la musique a la beauté du glissement des plaques tectoniques terrestres vu de la lune. Stirrings Still III est un collage au sens où, sans partition globale, les sept interprètes dessinent, chacun avec la notation pour son seul instrument, leur contribution à l’ensemble, en fonction de la position dans l’espace, de l’acoustique ou de la résonance, de leurs déplacements pendant la pièce.

L’irrésistible Périchole d’Offenbach à l’Opéra-Comique

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Jacques Offenbach (1819-1880) : La Périchole, opéra bouffe en trois actes. Stéphanie d’Oustrac (La Périchole), Philippe Talbot (PIquillo), Tassis Christoyannis (Don Andrès de Ribeira), Eric Huchet (Don Miguel de Panatellas), Lionel Peintre (Don Pedro de Hinoyosa) ; Chœur Les Éléments ; Orchestre de chambre de Paris, direction Julien Leroy. 2022. Notice et synopsis en anglais et en français. Sous-titres en français, en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. 139.00. Un DVD Naxos 2.110756. Aussi disponible en Blu Ray. 

En route vers de Nouvelles Aventures : Ligeti et les autres

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Ceindre les trois autres pièces de la soirée des Aventures et des Nouvelles Aventures de György Ligeti (1923-2006) pouvait corseter, voire stériliser le souffle de leurs compositeurs, mais c’est le contraire qui se produit : entre ces deux œuvres iconiques du renouvellement avant-gardiste de la musique de chambre, nées peu de temps après (entre 1962 et 1965) que la scène internationale fait connaissance avec ce Hongrois, transfuge à Vienne et remarqué à Darmstadt, et, singulièrement, au centre du programme, Manto III, de Giacinto Scelsi (1905-1988) acquiert, malgré sa brièveté, un pouvoir stupéfiant, au double sens du terme. Choix de Danielle Hennicot, l’alto de United Instruments of Lucilin (heureuse mais réservée -elle s’enfuit presque devant les applaudissements), le troisième mouvement de ce court morceau pour alto solo chantant (quelle jolie expression), à la partition étalée sur un double lutrin, emplit de beauté sereine, partant d’un chant grave, en saccades râpeuses, d’un élan qui relâche sa puissance contenue, et fond en une seule altiste ses deux cordes, la vocale et l’instrumentale.

Avec Down and arise, créé par Lucilin en 2018 (tant de pièces ne sont jouées qu’une seule fois…), Yu Oda (°1983), au nom japonais et à l’adresse néerlandaise, tranche l’air et scande l’espace, parie sur le rythme -d’une façon ou d‘une autre, chaque instrumentiste percute : au cajón, avec les pieds ou l’archet, sur le corps de l’instrument… ; il chante aussi, parfois à l’envers-, la répétition (jusqu’à un certain point) et l’émergence de flux chantés (les musiciens cumulent trois rôles), pour soutirer à John Dowland, compositeur et luthiste anglais (ou irlandais) de la Renaissance, l’âme de la pièce (Sorrow Stay) dont il s’inspire (ou plutôt, dont il suit la mélodie tout en déconstruisant la structure) et la remmailler de muscles, tendons et vaisseaux neufs, dix minutes fraîches qui s’animent avec la gaucherie hachée de la créature en transition, encore mi-inerte et déjà mi-vive. Approche paradoxale, que d’utiliser la contrainte pour trouver la liberté ? Peut-être, mais Oda convainc.

« Fast Forward » - 20 years United Instruments of Lucilin

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En fait d’anniversaire, c’est plus le 21ème que le 20ème qu’on fête, ce lundi 10 mai, au Grand Auditorium de la Philharmonie du Luxembourg, toujours en configuration minimale (100 personnes largement parsemées dans cette salle à l’acoustique accueillante), le petit virus renommé ayant rassemblé, en quelques mois, une impressionnante palette de super-pouvoirs, dont celui de se jouer des intervalles temporels au point de bouleverser tout calendrier un peu construit.

Un an plus tard et un programme (au livret copieusement illustré) remanié – du « voilà ce que nous avons fait de mieux » au « voilà vers où nous allons » –, United Instruments of Lucilin se prête à l’interview pré-concert avec bonne grâce et un zeste de réserve : la formation est née de l’envie de jouer ensemble, bien sûr, mais surtout de la volonté de choisir le programme, de se concentrer sur la création contemporaine, vaste, qui parfois effraye et souvent rejoint l’envie des musiciens de sortir de l’ordinaire. Des discussions, des centaines de créations, encore des discussions, des concerts traditionnels, des spectacles mis en scène, des improvisations, des opéras, toujours des discussions, des publics de tous âges, des collaborations, des commandes, des master class de composition et bien sûr on discute : l’ensemble se réunit virtuellement chaque quinzaine, envisage les idées de chacun pour composer le programme, tient compte de la diversité des penchants et des goûts – l’éclectisme est une valeur –, essaie de faire vivre et de concrétiser chaque projet – et cette démocratie permanente, faite aussi de tensions, résistante à la professionnalisation, construit probablement, avec la foi du début et le plaisir de se retrouver, la longévité du groupe. Danielle Hennicot (alto), André Pons-Valdès (violon) et Guy Frisch (percussions) égrènent quelques moments forts de la vie de l’ensemble : la naissance, bien sûr, The Raven de (monodrame qui envoie UIL à Paris ou à Tokyo), la rencontre avec Alexandre Schubert pour le concert-installation Black Mirror et sa réflexion sur la façon de jouer, Kein Licht, l’aventure du thinkspiel (mi-opéra mi-singspiel) de Philippe Manoury, joué près de 20 fois en 2017…

Les cris de Thierry Escaich et Laurent Gaudé face aux horreurs de la guerre

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Thierry Escaich (°1965) : La piste des chants, pour choeur d’enfants et orchestre de chambre. Visions nocturnes, pour mezzo-soprano, clarinette, quatuor à cordes et piano. Cris, pour récitant, chœur de chambre, 8 violoncelles, 2 percussions et accordéon. Laurent Gaudé, récitant ; Isabelle Druet, mezzo-soprano ; Sandra Bizjak, piano ; Quatuor Ellipse ; Chœur de Radio France ; Maîtrise de Radio France ; Solistes de l’Orchestre National de France ; Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Mikko Franck, Julien Masmondet et Julien Leroy. 2018. Notice en français et anglais. Texte de Cris avec traduction anglaise. 64.13. Radiofrance FRF055.