L’orgue Contius de Louvain à l’honneur dès le 21 avril : 2172 tuyaux pour la paix, une bouffée d’air pour le climat 

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Louvain. Cité universitaire chargée d’Histoire, carrefour culturel, terreau où fourmillent des personnalités inestimables et les talents de demain. Éprouvette en ébullition où se bousculent les projets les plus hétérocliques, ambitieux et rafraîchissants. Dont ceux portés par la Fondation Contius, qui nous réserve de belles surprises dès le 21 avril. Avec trois moments forts au programme: 24 heures de musique d’orgue les 21 et 22 avril, la deuxième édition du Festival International Contius-Bach et une Académie d’été du 7 au 15 juillet.

C’est que le président du conseil artistique de la Fondation a plus d’une corde à son arc : organiste, compositeur, ancien directeur général de La Monnaie et du festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, président de la session 2023 du Concours Reine Elisabeth,… Bernard Foccroulle est un homme à tout faire. Ses rares temps libres, il les passe à raviver la flamme vascillante du patrimoine organistique.  

Un nouvel orgue exceptionnel au coeur de la Sint-Michiel Vredeskerk

L’aurions-nous oublié ? Louvain est actuellement la seule ville en Belgique dotée d’une politique ciblée ayant pour ambition de sauvegarder ce patrimoine. C’est à cette fin que, en 2012, elle a élevé Luc Ponet, Professeur au Leuven University College of Arts, au rang de ‘stadsorganist’. Elle aurait eu tort de s’en priver : ‘Leuven Orgel Stad’ accueille en effet en son sein pas moins d’une quinzaine d’orgues de toute beauté. Parmi lesquels un nouveau venu, et non des moindres !

L’orgue Contius de l’église Saint-Michel de Louvain est une réplique historiquement exacte, réalisée sous la direction de la Fondation Contius, de l’orgue de l’église de la Sainte-Trinité de Liepāja en Lettonie, construit par Heinrich Andreas Contius entre 1774 et 1779. Avec celui de l’église Saint-André à Abbenrode (Allemagne), l’orgue de Liepāja est le seul instrument du facteur d’orgues originaire de Halle en Allemagne qui nous soit parvenu. Ceci explique sans doute pourquoi H.A. Contius demeure aujourd’hui dans l’ombre des grandes figures de la facture d’orgue du 19e siècle en Allemagne centrale -Gottfried Silbermann, Zacharius Hildebrandt et Heinrich Gottfried Trost. 

Johann Sebastian Bach tenait pourtant Heinrich Andreas Contius, ainsi que son père Christoph, en haute estime. Entre 1713 et 1716, le futur Cantor de Leipzig suivit de près la construction d’un orgue réalisé par Christoph Contius en l’église Notre-Dame de Halle. En 1749, il n’hésita pas à recommander à Johann Gottlieb Graun les services d’Heinrich Andreas, qu’il jugeait plus habile encore que Zacharias Hildebrand (l’un des meilleurs facteurs d’orgues de l’époque) en vue de la construction d’un nouvel instrument dans l’Unterkirche à Francfort-sur-l’Oder. Quelques années plus tard, le Cantor remit à Heinrich Andreas une lettre de recommandation assurant que « Le travail de Monsieur Contius sur les orgues et les instruments est si bon et constant qu’il n’y a rien à y redire et rien à souhaiter de plus que tous les travaux de ce genre soient réalisés avec autant de compétence, afin que les maisons de Dieu et tous les autres amateurs d’instruments de musique de ce type ne soient plus bernés par des incapables. »

En 1761, Heinrich Andreas s’installa dans les Pays baltes, où il construisit plusieurs orgues à Riga, Reval (aujourd’hui Tallinn en Estonie) et Libau (aujourd’hui Liepāja en Lettonie). L’instrument qu’il réalisa à Libau à partir de 1774, serti dans le buffet d’un orgue érigé un quart de siècle plus tôt par Johann Heinrich Joachim, comprenait 38 jeux, deux claviers et un pédalier. Il fut ultérieurement agrandi par Carl Alexander Herrmann (1877) et Barnim Grüneeberg (1885) ; ainsi modifié, il comptait 131 jeux et était à l’époque le plus grand orgue mécanique du monde. 

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L’orgue de l’église de la Sainte-Trinité à Liepāja. Source: Wikipedia

C’est l’orgue achevé en 1779 que le Fondation Contius a entrepris de reconstruire à Louvain. Jamais auparavant un instrument de Contius n’avait été reproduit de façon aussi méticuleuse. Le projet prit corps au début des années 2000. Les travaux proprement dits débutèrent en 2012 et s’achevèrent dix ans -et une pandémie- plus tard. Le chantier fut réalisé par l’entreprise Flentrop Orgelbouw de Zaandam (Pays-Bas) et Joris Potvlieghe, facteur d’orgues et de clavicordes à Tollembeek (Belgique) à qui l’on doit notamment l’orgue de Grimbergen et qui s’attaquait en l’occurrence pour la première fois à un orgue allemand. L’instrument trône au cœur de l’église Saint-Michel, sur un jubé en bois spécialement conçu à cet effet, à l’endroit exact où se trouvait jadis l’orgue Picard de 1804, détruit lors d’un bombardement à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Relativement spacieuse, la tribune permet d’accueillir chanteurs, instrumentistes et un nombre limité d’auditeurs.

Avec ses 38 jeux et 2172 tuyaux, ce nouvel orgue Contius s’inscrit dans l’esthétique du baroque allemand et le raffinement du style galant. Bernard Foccroulle tarit pas d’éloges sur cet orgue historique, le plus adéquat en Belgique, selon lui, pour l’exécution de la musique de J.S. Bach et de sa progéniture. On sait que Bach ne « sonne » pas avec la même rhétorique et la même articulation sur les orgues « latins », largement prédominants en Wallonie, que sur leurs homologues de Flandre ou des Pays-Bas. Sur les jeux de montre, notamment, l’attaque est relativement douce sur un orgue français ou espagnol et plus timbrée sur un instrument allemand. On s’en doute, l’orgue Contius n’est pas un orgue germanique quelconque... Il possède une variété de jeux de huit-pied sur les deux claviers et pédalier (Principal, Viola da gamba, Quintatöne...), des anches richement différenciées (Trompete, Schlamey, Fagott, Vox Humana...), de beaux jeux de flûte (Füllflöte, Rohrflöte, Spitzflöte, Gemshorn...) et une panoplie d’autres jeux aux coloris magnifiques (Cornetti, Nassat, Terz, Waldflöte...). La « Gravität », à laquelle J.S. Bach attachait une importance particulière, se retrouve dans cet orgue dans les jeux de seize-pied pour le pédalier. 

La finition des boiseries dans le buffet est encore assez loin d’égaler celle de l’orgue letton d’origine. Mais qu’importe, tant que l’instrument remplit son office. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il le fait à merveille ! 

L’église Saint-Michel de Louvain, construite par les Jésuites entre 1650 et 1671, est l’une des églises baroques les plus monumentales d’Europe. L’acoustique en est particulièrement raffinée, qui confère aux sonorités de l’orgue un relief et une rondeur exquises sans les noyer dans une réverbération excessive. Depuis 1998, l’édifice s’est donné pour mission d’être une « église de la paix », de diffuser le message de paix au sens le plus large du terme. La Fondation Contius espère que l’orgue contribuera à propager et à renforcer ce message, pendant la liturgie, lors de concerts et d’activités éducatives et dans le cadre de divers autres projets.

Le projet culturel de la Fondation Contius

En vue de mettre le nouvel instrument à l’honneur, la Fondation Contius a mis les petits plats dans les grands. C’est, en effet, un vaste projet culturel, unique en Europe, à la rencontre d’un public protéiforme, qu’elle a échaffaudé, fédérant création, formation, recherche, innovation et participation démocratique autour de ces fleurons du patrimoine que sont l’orgue Contius et l’église Saint-Michel. Morceaux choisis : un lot de commandes de créations musicales pour grand chœur d’enfants et orgue, inspirées par le thème de la paix, en collaboration avec différents festivals internationaux (un oiseau de bon augure nous annonce, à ce titre, une composition redoutable de l’Anversois Bart Verheyen, qui devrait connaître les honneurs de la scène en 2024) ; un Festival et une Académie d’été à dimensions européennes, organisés chaque année durant la première quinzaine de juillet ; des concerts et activités pédagogiques entre avril et octobre ; et divers projets de recherche musicologiques et organologiques, en collaboration avec la KU Leuven et d’autres universités, visant à nourrir la pratique de l’exécution historiquement informée de la musique baroque. S’ajoutent à ce programme ambitieux plusieurs activités orientées vers la jeunesse. De jeunes organistes prometteurs, originaires de toute l’Europe, auront ainsi le loisir de parfaire leur connaissance des orgues que J.S. Bach appréciait et de prendre part à une intégrale de l’œuvre pour orgue du Cantor de Leipzig. La Fondation Contius offre également une résidence d’un ou deux ans à un(e) organiste talentueux. Plusieurs actions de sensibilisation sont aussi prévues dans les écoles primaires et secondaires, dans le but de « dépoussiérer » et démystifier ce monstre sacré qu’est l’orgue et de le débarasser, autant que faire se peut, de l’image d’Épinal qui lui cole aux tuyaux : celle d’un instrument aux fonctions exclusivement liturgiques, symbole indéracinable du culte catholique. Et, cerise sur le gâteau : un « marathon » de 24 heures, pour la bonne cause, à la tribune de la Sint-Michielskerk, sur les orgues à l’honneur. 

Les 21 et 22 avril 2023: 24 heures de musique d’orgue pour le climat

Du vendredi 21 avril, 17h00, au samedi 22 avril, même heure, 50 organistes, chanteurs et autres musiciens se relaieront à la tribune de la Sint-Michielskerk. Parmi eux, des organistes de renommée internationale, professeurs et étudiants belges et étrangers. Au programme: J.S. Bach, bien sûr, mais aussi Buxtehude, ainsi que des compositeurs romantiques et contemporains (Foccroulle et Mernier ne seront pas oubliés). Cet évènement exceptionnel, gratuit sans réservation, s’inscrit dans le cadre du Festival Warm Alarm, qui se déroulera du 20 au 23 avril 2023 et vise à sensibiliser la classe politique à la problématique du réchauffement climatique, avec le soutien d’artistes et d’écrivains.

Bernard Foccroulle noue une étroite relation avec des activistes du climat. Son premier opéra, Cassandra, sera créé à la Monnaie le 10 septembre prochain, il met en scène un chœur d’amateurs portant l’étendard de la cause climatique. Le Chœur Cassandra sera déjà présent le 21 avril à 16h00 devant le 30cc/Schouwburg (Bondgenotenlaan 21, à Louvain), d’où il rejoindra, en procession, la Sint-Michiel Vredeskerk sur des chorals de Bach... avant le coup d’envoi, à 17h00 donc, des 24 heures autour du Contius.

Wim Winters, organiste titulaire, sera le premier à braver l’instrument, aux côtés de Renate Weytens et Hanne Hautekiet (chant). Le public se pressera sans doute pour écouter trois fleurons de l’« école » belge d’orgue : Cindy Castillo, à 18h00, Bernard Foccroulle, à 7h00 et Benoît Mernier à 14h00. Il est à espérer qu’il réservera également bon accueil aux nombreux autres musiciens qui ont accepté de s’investir dans ce séduisant projet : étudiant(e)s et professeur(e)s à l’IMEP (Namur), à l’institut LUCA-Lemmens, aux conservatoires d’Anvers, Bruxelles, Gand, Liège et Louvain, à la KU Leuven, à l’académie de Tirlemont, sans oublier Laurens de Man (organiste en résidence) et David Burn (organiste de la paroisse Sint-Michiel et professeur de musicologie à la KU Leuven), qui investiront la tribune au coeur de la nuit. Parmi les acteurs de la scène internationale, on saluera la présence de Sunkyung Noh (Leipzig/Hambourg), Marius Herb (Paris) et Wibren Jonkers (Amsterdam), notamment, dont les harmonies célèbreront la naissance d’un jour nouveau. Épinglons encore, parmi tant d’autres noms, celui de Francesca Ajossa, originaire de Sardaigne, qui prendra l’an prochain ses quartiers à Louvain en qualité d’organiste en résidence. 

Une vingtaine de concerts

De jeunes organistes européens brillants -premiers prix de concours internationaux d’orgue- ont, par ailleurs, entamé l’an dernier une intégrale de l’œuvre d’orgue de J.S. Bach sur l’orgue Contius de la Sint-Michiel Vrederskerk. Six concerts sont prévus dans ce contexte en 2023, et autant l’an prochain. Le 16 mai et le 20 juin se produiront, respectivement, Laurens De Man (Pays-Bas) et Maria Vekilova (Russie-Belgique). Ils seront suivis le 18 juillet par Jeroen Koopman (Pays-Bas), le 22 août par Victor Baena (Espagne), le 19 septembre par Bart Verheyen (Belgique) et le 17 octobre par Minji Choi (Corée du Sud).

Pour ceux qui resteraient encore sur leur faim, seize concerts de midi se tiendront tous les jeudis durant les mois de mai, juin, septembre et octobre 2023. Le 25 mai, Lambert Colson et Bart Vromen dirigeront 6 chanteurs et 14 musiciens du Département « Musique ancienne » du Vlaams Conservatorium Brussel lors d’un concert consacré à l’œuvre de Schmelzer. 

Les 5, 6 et 7 juin, ce sera au tour de trois jeunes acteurs en herbe de monter sur les planches à l’occasion d’une production de théâtre musical autour de l’orgue, « WOESJ! »: une occasion rêvée pour le jeune public néerlandophone d’apprivoiser l’instrument à tuyaux, qui sera animé par Laurens de Man. 

La saison se clôturera en grande pompe du 7 au 15 juillet par un festival et des masterclasses

Le Festival International Contius-Bach

Le concert inaugural du Festival, dont c’est cette année la deuxième édition, est programmé le 7 juillet à 20h00. Il sera articulé autour du thème « Bach et l’Italie » et verra se produire Bart Jacobs et I Muffati. Il sera retransmis en direct sur Klara. On ne manquera sous aucun prétexte la Passion selon saint Jean du Cantor, par l’ensemble A Nocte Temporis et Reinoud Van Mechelen (dont ce sera la première « saint Jean ») le samedi 8 juillet à 20h30, ni le concert de clôture, avec l’ensemble louvaniste Currende, sous la direction d’Erik Van Nevel, et Wouter Dekoninck à la tribune.

L’Académie d’été

L’Académie d’été accueillera deux sessions de masterclasses, ouvertes à une douzaine de jeunes organistes et plusieurs chanteurs/chanteuses et instrumentistes professionnel(le)s, sur candidature. La première, dédiée à la musique italienne pour chant et orgue du 17e siècle, se déroulera du 8 au 12 juillet en collaboration avec la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, essentiellement sur l’orgue historique Goltfuss (1692) de l’église Saint-Jean-Baptiste du grand béguinage de Louvain. La seconde, consacrée à la musique d’orgue de J.S. Bach (en particulier les œuvres influencées par des compositeurs italiens, de Frescobaldi à Vivaldi), se tiendra du 10 au 14 juillet sur les orgues Contius de l’église Saint-Michel de Louvain et de l’église Sainte-Catherine à Wondelgem. Parmi les professeurs, citons Hans Davidsson (Suède), Lorenzo Ghielmo (Italie), Monica Melcova (Slovaquie), Krzysztof Urbaniak (Pologne) et Benoît Mernier (Belgique) pour l’orgue, et Mauro Borgioni pour le chant. 

De nouveaux projets en perspective

Nous ne saurions mettre un point final à ce long aperçu des festivités louvanistes programmées cette année sans évoquer brièvement un autre projet auquel participe Bernard Foccroulle : la construction d’un orgue Messiaen à la cathédrale de Liège -dépourvue d’un orgue de qualité depuis plus d’un siècle. Faute de réponse de nos hommes et femmes politiques, les instigateurs du projet pourront heureusement compter sur un financement privé et un comité de soutien essentiellement composé de personnalités artistiques belges. Vous avez dit Messiaen? Comment ne pas associer l’auteur des Petites Esquisses d’oiseaux et de Saint François d’Assises aux problématiques climatiques et aux messages de paix…? 

Quant au compositeur et organiste belge, il se murmure qu’il travaille assidument à une œuvre pour le Quatuor Béla autour du journal tenu durant la Seconde Guerre mondiale par Hélène Berr, jeune parisienne juive, étudiante à la Sorbonne et par ailleurs violoniste. Nouvel appel à la paix universelle. S’il est décidément une chose qu’on ne peut reprocher à Foccroulle, c’est de manquer de cohérence !

Pour rejoindre les Amis de l’orgue Contius et soutenir les projets de la Fondation, consulter la page https://contiusfoundation.org/friends.html

Pour faire connaissance avec l’orgue Contius, la rédaction vous conseille chaleureusement le CD « Recommended by Bach » enregistré en juin 2022 à la Sint-Michiel Vredeskerk de Louvain (Bart Jacobs, Ramée, 2023, 81’45”. Œuvres de G. Kirchhoff, J.S. Bach, W.F. Bach, G. Ph. Telemann, J.G. Walther, C.P.E. Bach et J.G. Müthel).

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Olivier Vrins

Crédits photographiques : DR

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