Mieczyslaw Karlowicz : 100% piano
Mieczyslaw Karlowicz (1876-1939) : Œuvres complètes pour piano. 2019. Livret en polonais et en anglais. 60’03. Dux 1579
L’image est symbolique, elle évoque une triste réalité. Sur la couverture de la pochette du CD et sur celle du livret, on découvre le pianiste Piotr Basanik, debout devant un paysage grandiose de montagnes. Sur le CD lui-même, le personnage a disparu, il ne reste que les hauts sommets enneigés. Cette absence est l’écho du décès accidentel de Mieczyslaw Karlowicz, emporté à moins de 33 ans par une avalanche lors d’une excursion solitaire dans les Tatras, près de Zakopane, où il vivait. Né à Wiszniewo, ville aujourd’hui en Biélorussie, mais alors en Lituanie, il étudie le violon pendant son enfance à Dresde où sa famille est installée. Le jeune Polonais se perfectionne à Varsovie où il apprend aussi la composition avant de parfaire sa formation à Berlin en 1895 auprès de Heinrich Urban -qui fut notamment le professeur de Paderewski et de Landowska. Karlowicz compose déjà de la musique vocale. Il devient directeur de la Société de musique de la capitale de son pays natal et se consacre à la création et à l’enseignement. Ce qui ne l’empêche pas de suivre les cours de direction d’orchestre à Leipzig auprès d’Arthur Nikisch. Il étudie aussi les sciences et la philosophie, et se passionne pour la photographie. En 1904, il publie des lettres inédites de Chopin. Membre du mouvement « La Jeune Pologne », auquel participe également Szymanowski, prônant « l’art pour l’art » et faisant appel à l’imaginaire, il s’inscrit dans une ligne postromantique, mais ne néglige cependant pas les courants de son époque. Scriabine, Sibelius ou Richard Strauss l’intéressent.
Malgré sa brève existence, Karlowicz est l’auteur d’un intéressant corpus, dont on retiendra un concerto pour violon et une symphonie en 1902 ainsi que six poèmes symphoniques. Avant le début du XXe siècle, il se consacre essentiellement au piano. Le présent CD Dux propose dix pièces pour l’instrument qui s’inscrivent dans la période 1893 à 1898 ; elles ne portent pas, à une exception près, de numéro d’opus et forment l’intégrale de ses compositions dans ce domaine. Le programme est conçu selon un ordre chronologique. Un Chant de mai qui n’est pas sans faire penser à une romance sans parole ou à un chant d’amour précède une valse, un andante, trois rondos, une fugue, un prélude et fugue, une sonatine et une sonate. L’audition montre un talent en formation, qui a assimilé les influences du siècle en fin de parcours, celles de Liszt, de la tradition chopinienne (la Valse) et de Mendelssohn. Le souvenir de Bach s’entend dans la Fugue et le Prélude et Double fugue, peut-être sous l’influence de Landowska qu’il a connue au cours de ses études avec Urban. Les deux dernières œuvres, la Sonatine et la Sonate, toutes deux de 1898, au matériel thématique plus scholastique, semblent clôturer une période de recherche pour le compositeur. Cette année-là, il commence à écrire pour l’orchestre, une Sérénade pour cordes, et se consacrera désormais à la grande formation. Il ne reviendra plus au piano.
Ce CD est en soi une belle découverte, car il donne accès à la phase préparatoire d’un compositeur en devenir et en recherche de spécificité. Les œuvres n’ont rien de révolutionnaire, mais elles dégagent un souci expressif et une atmosphère poétique que l’on ne peut négliger. Le livret précise que leur publication ne date que des premières années de notre siècle.
Le pianiste Piotr Banasik a étudié à Katowice auprès d’Andrzej Jasinski et a suivi les cours de maîtres comme Alexis Weissenberg ou Krystian Zimerman. En Pologne, il a remporté de nombreuses distinctions dont le premier prix au Concours National de piano Chopin en 2012 à Varsovie. Il se produit en récital ou en soliste, notamment avec la radio et la télévision polonaises. Il donne aux partitions de Karlowicz leur juste dimension de juvénilité à travers une approche à la fois stylée, lyrique et attentive aux nuances.
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix