John Taverner, forces chorales
John Tavener (1944-2013) : Œuvres chorales : God is with us, Hymn to the Mother of God, Love bade me welcome, They are all gone into the world of light, Annunciation, As one who has slept, Song for Athene, The Lamb, The Lord’s Prayer, Angels, Five Anthems from the Veil of the Temple. Winchester Cathedral Choir, dir. Andrew Lumsden, Georges Castle, orgue. 2019. Livret en anglais. 70.03. Hypérion CDA68255.
Cet hommage choral à l’oeuvre d’un compositeur parmi les plus mystiques de notre temps porte le titre d’une partition du programme : Angels, qui date de 1985. Il définit bien l’impression ressentie après l’audition de ce CD, celle d’avoir parcouru un univers spirituel d’où l’espace et le temps sont abolis, un univers parcouru par des présences mystérieuses, des souffles d’âme et une atmosphère éthérée. L’Anglais John Tavener, qui a suivi les cours de Lennox Berkeley à la Royal Academy of Music de Londres, est un auteur prolifique, son catalogue compte plus de trois cents œuvres : opéras, cantates, hymnes, cycles de chansons, musique de chambre ou pour orchestre, musiques de films… Catholique converti à l’orthodoxie russe au tournant de ses 35 ans, il était aussi attiré par l’inspiration venue de la tradition hindoue et par l’hymnologie du Moyen-Age. Il s’était approprié ces diverses composantes pour en faire un langage personnel qui allie la simplicité et l’accessibilité à l’intensité. On le rattache au mouvement des « minimalistes mystiques », comme Arvo Pärt ou Henryk Gorecki. La vie quotidienne de Tavener a été compliquée par les effets du syndrome de Marfan, cette maladie génétique rare qui se caractérise par une grande taille, une maigreur relative, des doigts très longs et très fins, et peut toucher le squelette, les yeux et le cœur. Ce syndrome demande des ménagements : il faut éviter par exemple les efforts brutaux et violents. Dans le cas du compositeur, elle s’est manifestée par de fréquentes douleurs osseuses et a peut-être provoqué sa recherche d’une voie religieuse dans ses compositions, qui en sont totalement imprégnées.
Les onze partitions du CD Hypérion montrent une continuité dans la création de Tavener. Elles s’étalent sur une période couvrant une trentaine d’années, de 1982 à 2011, mais elles s’inscrivent toutes autour d’un projet intérieur identique. Certaines pièces sont très connues, comme le Song for Athene de 1993 pour chœur de filles et de garçons, composé à la mémoire d’une actrice grecque décédée dans un accident et qui fut chanté lors de l’enterrement de Lady Diana Spencer quatre ans plus tard, ou The Lamb, qui date de 1982, pour le même dispositif vocal, d’après un poème de William Blake, et qui a été repris dans deux musiques de film.
Le compositeur fréquentait beaucoup la Cathédrale de Winchester dont il admirait les chœurs et à destination desquels il écrivit maintes pièces. Il aurait été ravi par ce CD et par la prestation de jeunes chanteurs, garçons et filles, ainsi que de voix adultes masculines qui, investies, se coulent dans ce discours musical avec une lumineuse évidence. L’accompagnement régulier de l’orgue, majestueux ou en suspension, de George Castle se coule adéquatement au climat global. On peut être fasciné par la qualité des ensembles et la fluidité des effets qui mettent l’auditeur comme en état d’extase ou d’hypnose. On peut aussi, selon la sensibilité que l’on développe pour un type de mode sonore qui se renouvelle assez peu, considérer que « la mariée est trop belle » et s’en irriter, ou s’en lasser. Il vaudra mieux alors se contenter d’écouter ce CD à petites doses. Mais il faut reconnaître une réalité : une musique qui revendique à ce point la dimension mystique ne peut qu’être un moment de paix et de douceur dans notre monde si bousculé.
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix