Mihai Constantinescu, Directeur Général du Festival George Enescu 

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Le Festival George Enescu est l’un des grands événements de vie musicale en Europe. Pendant un mois, Bucarest vit au rythme frénétique de plusieurs concerts par jour avec les plus grands orchestres et les plus grands solistes. Célébrant la figure musicale centrale du compositeur George Enescu, il présente de nombreuses ramifications à travers le pays et passe en revue tous les styles musicaux avec, en particulier, un focus passionnant sur les musiques de notre temps. Alors que le Festival va s’ouvrir le 31 août avec la très symbolique Symphonie n°9 de Beethoven, Crescendo Magazine rencontre Mihai Constantinescu, le Directeur Général du Festival. 

Le programme du Festival est intitulé “Le Monde en Harmonie” ; pouvez-vous nous expliquer ce choix de thème ? 

Ce thème est directement inspiré par Enescu. Il disait que la musique avait un but sacré, celui d’unir les âmes. J’ai l’impression que nous vivons dans un monde plus dichotomique et segmenté que jamais. Sur la scène du Festival, plus de 50 nationalités, sans distinction de couleur, de sexe, de préférences ou de croyances, travaillent ensemble dans un but commun. L’orchestre est donc une métaphore du monde fonctionnel dans lequel nous aimerions vivre : collaboratif, inspiré, dans un acte artistique unitaire. En quelque sorte, nous pouvons observer le monde en harmonie à travers le Festival. Cela peut être une source d’inspiration, une occasion de réflexion et, pourquoi pas, d’orientations pour agir.

Au concert d’ouverture, le public pourra entendre la Symphonie n°9 de Beethoven, une oeuvre à la dimension musicale mais aussi politique. Dans une Europe qui semble se fermer de plus un plus, où de nombreux pays se replient sur eux-mêmes, est-ce que cela représente un symbole particulier ?

Dans le champ artistique, l’Europe est perçue comme dépositaire d’un ensemble de valeurs communes. Ce choix est peut-être intelligent, peut-être fou, et peut-être qu’il contribue à l’apport de la culture au discours de la cité. Il me semble important d’avoir l'occasion de réfléchir aux options qui se présentent à nous. Votre question me fait plaisir car elle permet d’aborder le sujet et ouvre au dialogue si nécessaire. Un dialogue qui est malheureusement devenu plutôt monologue ces derniers temps.

Et nous avons fait un autre choix symbolique en incluant au concert d’ouverture l’une des œuvres les plus célèbres et les plus connues d’Enescu, sa Rhapsodie n°2

Nous avons plutôt pensé à la dimension artistique, à ces "cordes vibrantes" communes aux spectateurs. Mais comme vous le soulignez, cela peut être le point de départ pour réfléchir aux différents enjeux politiques… Je pense que c'est une bonne contribution, pour un produit culturel de la taille du festival, de pouvoir apporter quelque chose à la réflexion politique des temps que nous vivons.

Les concerts rendent hommage à la figure de George Enescu, présent dans la programmation avec de nombreuses oeuvres qui illustrent toutes ses facettes de compositeur. Au-delà de sa grande importance dans l’Histoire de la musique en Roumanie, en quoi Enescu peut-il encore nous toucher et nous séduire ? 

Je suis convaincu qu’Enescu peut séduire encore. Et je le dis après de nombreuses discussions avec des artistes du monde entier, des artistes déjà célèbres, présents au Festival, ou des artistes en devenir, qui participent au Concours d'Interprétation. Enescu propose des écritures très diverses et s'adresse donc à un large public. Nous pouvons trouver des passionnés de ses œuvres symphoniques, monumentales, avec les arrangements chromatiques bien tempérés ou des œuvres pour piano, avec les thèmes finement sculptés, en dentelle. Ensuite, le répertoire de violon fonctionne bien pour les virtuoses, difficile à aborder techniquement mais d’une grande intensité. Un musicien roumain, aujourd'hui soliste et professeur international, affirme que certaines pièces d'Enescu sont beaucoup mieux appréhendées avec de la maturité -pas pour des raisons de technique mais de compréhension.

Je suis roumain et, pour moi, Enescu s’exprime à plusieurs niveaux. Cependant, il était un citoyen européen, il a étudié à Vienne, à Paris, il était un élève merveilleux qui a confirmé son talent par la suite. C’est évident dans son travail. Parfois, je trouve génial d’écouter Enescu avec Ravel, qui était son collègue du Conservatoire de Paris, ou Fauré, avec qui il a étudié la composition. La série « Enescu et les Contemporains » du Festival décrit très clairement cette vibration commune et, dans son contexte, Enescu semble encore plus actuel. Il est séduisant dans la mesure où, une fois entré dans son univers, on est « attrapé ». Nous avons maints exemples d'artistes qui, une fois qu'ils l'ont découvert, n’ont pas pu s’arrêter avant d'avoir parcouru toutes ses œuvres. Il en va de même pour le public s’il a l’occasion de rencontrer les œuvres d’Enescu.

Si un jeune mélomane ne connaissant pas Enescu vous demandait conseil pour le découvrir, quelle oeuvre lui conseilleriez-vous ? 

Je l’inviterais à écouter la Symphonie n°3 qui figure dans cette édition du Festival dans deux interprétations différentes : avec l’Orchestre du Maggio Musicale de Florence et avec le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin. Il me semble que pour comprendre les différentes formules d’expression d’Enescu, cette symphonie est une bonne voie d’exploration. Elle est diversifiée, elle offre de multiples sonorités, des états alternatifs construits de manière intéressante, et cela témoigne aussi de l’intérêt d’Enescu pour la voix et le domaine lyrique. Ensuite, je conseillerais les œuvres pour piano, telle la Suite pour piano n°2 en ré majeur. Je l'inviterais aussi à écouter les sonates pour violon et piano. Bien sûr, si ce jeune mélomane s’intéresse au genre lyrique, je lui parlerai d’Oedipe. On découvre, en ne nommant que quelques-uns des domaines d’intérêts artistiques du compositeur, un univers immense ; et j’insiste donc sur toute l’actualité de l’œuvre et du travail d’Enescu.

Cette année, le Festival se déroulera aussi dans 4 pays en dehors de la Roumanie : Allemagne, Italie, Canada et Moldavie. En quoi cette présence internationale est-elle importante ? 

Nous souhaitons nourrir le dialogue autour des oeuvres d’Enescu, encourager la proximité de son travail, comme je l'ai expliqué. Le Festival peut être un élément déclencheur dans l’approche des œuvres d’Enescu. Celles-ci peuvent ensuite être présentées à un public international, comme c’est le cas actuellement. Et c’est un heureux concours de circonstances qui a mobilisé les organisateurs locaux, comme au Canada qui invitera le violoniste Alexandru Tomescu, véritable porte-étendard qui promeut inlassablement la musique classique et l’oeuvre d’Enescu. 

D'autre part, nous avons de grands orchestres, des artistes qui ont choisi de reprendre sur des scènes de leur pays ce que je propose au Festival. C’est un effet de vague musicale, je dirais. Est-ce important ? Je pense que ça l’est pour la mission que nous nous sommes fixée de promouvoir la personnalité complète de George Enescu.

Dans la programmation, outre les orchestres internationaux, on découvre la mobilisation des orchestres roumains. Comment parvenez-vous à fédérer toutes les énergies musicales du pays pour des concerts à Bucarest ou à travers la Roumanie ? 

C’est d’abord la personnalité d’Enescu qui fédère ces énergies. Et puis, c’est le mérite de chaque artiste roumain, des orchestres, des chefs d’orchestre, des solistes qui tirent le meilleur parti de l’occasion que constitue le Festival pour promouvoir le travail d’Enescu et sa musique. Enfin et surtout, le travail systématique accompli au fil des années pour organiser le Festival a réussi à mobiliser la communauté musicale et à lui donner l’assurance de pouvoir se présenter à un très haut niveau. Ce n'est pas facile, mais nous constatons aujourd'hui beaucoup plus d'ouverture et d'implication.

Dans le cadre de la programmation, il y a une série consacrée à la musique du XXIe siècle avec une affiche assez éclectique. En quoi la présence de la musique contemporaine est-elle importante ? Comment choisissez-vous les compositeurs proposés dans ces concerts ? 

On pourrait dire que la musique contemporaine est elle-même éclectique, elle recouvre différents genres et styles. Nous pensons qu’il est important que le public ait la possibilité de rencontrer les sons actuels, à son niveau de préférence personnel. Pour être un petit miroir des temps, la sélection est nécessairement plurielle.

Le maestro Vladimir Jurowski, directeur artistique du Festival, très bienvenue à mon sens, d'inclure des compositions contemporaines dans une section qui lui est dédiée. En réalité, la structure de la section est, en soi, un petit festival de musique contemporaine qui propose au public les œuvres les plus récentes, déjà consacrées ou en première audition. C'est une manière d’entrer en contact avec le rythme actuel de la musique classique.

Les compositeurs contemporains ont un discours diversifié. Certains se concentrent sur les sons des instruments et expérimentent des dialogues musicaux. D'autres racontent des histoires et les instruments sont simplement des personnages qui parlent. D'autres encore sont intéressés par la texture du son et l'ensemble des sons. Et d'autres enfin combinent différentes techniques, des instruments familiers avec des outils électroniques ou autres.

Nous le verrons dans les histoires racontées par Charlotte Bray, dans les approches presque théâtrales de Nicola Piovanni ou dans les harmonies de Francesco Tristano et dans les constructions élaborées de Penderecki ou encore avec les sons presque super-terrestres de Sven Helbig. J'ai cherché et suivi des compositeurs qui ont des approches différentes. La sélection a tenu compte de la qualité des œuvres et de la disponibilité des compositeurs pour dialoguer, raconter des histoires et même éduquer. Le Forum international est une opportunité pour les musiciens et les mélomanes actuels.

Les festivals de musique sont de plus en plus présents sur le net par des retransmissions en direct et des concerts disponibles en streaming. Qu’en est-il des concerts du Festival Enescu, pourrons-nous nous les entendre à travers le monde ? 

La plupart des concerts du Festival peuvent être suivis en direct sur le site Web www.festivalenescu.ro. L’ouverture est donc totale en ce qui nous concerne. Les seules limites ne pourraient provenir que de la programmation, des concerts qui ont lieu en même temps ou des droits de diffusion. Nous souhaitons que le Festival soit le plus proche possible du plus grand nombre. Nous avons donc tout mis en œuvre pour rendre possible la diffusion sur Internet.

Le site du festival George Enescu : www.festivalenescu.ro

Crédits photographiques : George Enescu Festival

Propos receuillis par Pierre-Jean Tribot

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