Nicola Procaccini à l’assaut de trois grandes pages du symphonisme français. Vivifiant !

par

Reflets sur l’air. Maurice Duruflé (1902-1986) : Suite Op. 5. Jehan Alain (1911-1940) : Trois Danses JA 120A. Olivier Messiaen (1908-1992) : L’Ascension. Nicola Procaccini, orgue Puget de l’église Notre-Dame de La Dalbade de Toulouse. 2023. Livret en français. TT 79’35. Rocamadour #06

Après un baptismal album de Quentin du Verdier consacré aux origines de l’orgue français, le présent CD prolonge la collaboration entre le CNSMDP et le label Rocamadour – Musique Sacrée, qui entend chaque année ouvrir ses micros à un étudiant de l’institution parisienne. Au menu de cette anthologie préfacée par Olivier Latry et Thomas Ospital, voici un autre versant du répertoire hexagonal (trois chefs-d’œuvre du premier XXe siècle), et un autre jeune organiste, que nous avions déjà remarqué dans sa contribution à une monumentale intégrale Messiaen enregistrée à la cathédrale de Toul, confiée à une vaste pépinière de prometteurs talents.

Le large répertoire de Nicola Procaccini, également doué au clavecin, le porte aussi bien vers le Baroque germanique (récitals sur de prestigieuses consoles à Hambourg, Lübeck, Stralsund) que vers le spectre moderne. Originaire de la région des Marches, il étudia à Fermo, à Hambourg auprès de Wolfgang Zerer, pédagogue recherché, puis à Paris en 2020. Il fut alors admis en résidence au Concert Hall Kitara de Sapporo (réputé pour son acoustique et son orgue Kern) pour la saison 2021-2022, avant Yanis Dubois et désormais William Fielding. C’est lors d’un séjour d’études en 2019, autour de Michel Bouvard et Jan Willem Jansen, que Nicola Procaccini découvrit le riche patrimoine de la Ville Rose, qui le motiva à revenir au superbe Pujet de l’église Notre-Dame de La Dalbade afin de graver ce programme poétiquement intitulé Reflets sur l’air. Probable allusion aux Alléluias sereins d’une âme qui désire le Ciel, où l’interprète entrevoit selon ses mots un carillon de flûte harmonique qui « arrive à créer des effets de lumière sur les accords de la voix céleste ».

Nulle part cité sur la pochette, pas plus que le mot « orgue » (diantre !), l’instrument toulousain (50 jeux sur trois claviers et pédalier) bénéficie d’une magnifique captation, une des plus valorisantes que nous en ayons entendu : ample, dense et puissamment ancrée sur les registres graves, même si le niveau sonore s’avère parfois étourdissant à volume habituel. Cette pesanteur n’empêche pas de cerner la vitalité et les humeurs insaisissables des Trois Danses de Jehan Alain, dès les rebonds de Joies qui sont projetées par un trait vif et élancé. La dialectique des Luttes permet de vérifier les capacités d’animation dramatique de Nicola Procaccini, qui scénarise une rivalité thématique à fort ampérage, conforme à l’énergique écriture du compositeur prématurément disparu.

Dans le respect des registrations de la partition originale, le même sens de la fresque nous vaut une Ascension au dessin clair et aux couleurs fauvistes, qui peuvent rappeler la réfulgence d’un Louis Thiry à Genève (Calliope, 1972). Sans presser l’allure de la Majesté du Christ demandant son Gloire à son Père, mais en accordant toute la tension paradoxale que réclament les Alléluias sereins. L’interprète italien les concentre avec une vertigineuse assurance, jusqu’à une conclusion incandescente : on sent un fort tempérament dans cette lecture souvent proche de la transe mystique. Semblable contention pour la Prière finale, fermement orientée, au point qu’elle semble moins progresser qu’être irrésistiblement attirée par sa trajectoire au firmament. On n’est donc pas surpris par les gestes zélés, les gerbes d’étincelles qui inondent les Transports de Joie.

C’est par le même panache que Nicola Procaccini exalte la Toccata de Duruflé, après avoir compacté les lourds agrégats du Prélude (où les abysses du Puget semblent presque surpondérés) puis dilaté le lyrisme de la Sicilienne, moins raffiné qu’à l’ordinaire mais capiteux en diable. Que dire sinon qu’au-delà des moyens techniques nécessaires à la maîtrise de ces pages ardues, qu'il possède d’évidence, et malgré quelques passagères crispations, le jeune virtuose sert ces trois œuvres avec une conviction et une autorité qui forcent l’admiration. Une démonstration généreuse (près d’une heure vingt), roborative, confirmant un caractère bien trempé, qui sait où il veut aller, par des exposés peut-être moins apodictiques qu’assertoriques. Fort des halles et guère moins fort-en-thème. Bref, nul besoin de confronter ces lectures à nos références discographiques pour succomber à un charisme qui, au sein de ce que l’on connaît de la nouvelle génération d’organistes, installe ses vérités avec un aplomb confondant. Un témoignage qui crève l’écran, et un artiste, une stature à suivre de près.

Christophe Steyne

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 10

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