Nino Rota pastiche avec élégance le chapeau de paille d’Eugène Labiche

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Nino Rota (1911-1979) : Il cappello di paglia di Firenze, farce musicale en quatre actes. Piotr Buszewski (Fadinard) ; Tetiana Miyus (Elena) ; Daeho Kim (Nonancourt) ; Anna Brull (La Baronne de Champigny) ; Antonia Cosmina Stancu (Anaide) ; Chœurs de l’Opéra de Graz ; Philharmonie de Graz, direction Daniele Squeo. 2021. Notice en allemand et en anglais. Texte complet du livret en italien, en anglais et en allemand. 107’ 15’’. Un coffret de deux CD Capriccio C5466. 

Le nom du Milanais Nino Rota est associé par le grand public aux célèbres musiques de films qu’il a composées pour maints réalisateurs d’où émergent les noms de Francis Ford Coppola, Visconti, Zeffirelli, et, surtout, Fellini. La Strada, La dolce Vita, Les nuits de Cabiria, Le Guépard, Satyricon, Amarcord, Le Parrain… La liste des succès est très longue. Mais le catalogue de ce compositeur prolixe est tout aussi riche dans le domaine orchestral (quatre symphonies) et concertant, le ballet, la musique vocale et de chambre. Sans oublier une dizaine d’opéras. Avant d’être happé dès 1933 par le cinéma, Nino Rota étudie au Conservatoire de Milan avec Ildebrando Pizzetti, puis à Rome avec Alfredo Casella. Il a à peine vingt ans lorsqu’il passe deux ans à Philadelphie avec Fritz Reiner qui lui enseigne la direction d’orchestre. Au-delà de la musique pour le cinéma, si ce créateur a été servi par quelques labels (Alpha, Brilliant, Capriccio, Chandos, CPO, Grand Piano, Naxos…), il y a encore des merveilles à découvrir.

L’album de deux CD que propose Capriccio met en lumière un opéra dont le thème est la délicieuse comédie d’Eugène Labiche, Un chapeau de paille d’Italie, écrite en collaboration avec Marc Michel, dont le succès ne s’est pas démenti depuis la première au Théâtre du Palais Royal de Paris, le 14 août 1851. Le cinéma s’est emparé à plusieurs reprises de cette joyeuseté primesautière et espiègle. L’opéra ne pouvait être en reste… D’autant plus que l’action pétille de gaieté. Le jour de son mariage avec Elena, fille du fermier Nonancourt, le cheval du jeune rentier Fadinard mange le chapeau de paille d’une dame, Anaide. Celle-ci, qui est mariée, ne tient pas à être découverte en galante compagnie avec le militaire qui la courtise. Tous deux exigent de Fadinard un chapeau de même confection et de même couleur pour remplacer celui que le destrier a digéré et le suivent jusqu’à son domicile. Le fiancé va devoir se soustraire aux soupçons de son beau-père, mais aussi échapper à la cohorte des invités qui le suit partout. Une série de quiproquos et de malentendus pittoresques vont pimenter la recherche, avec détours par le magasin d’une modiste ou par le salon de la tante d’Anaide, une baronne, qui va confondre Fadinard avec un violoniste, forçant le jeune homme à jouer le jeu de la fausse identité. D’autres péripéties n’empêcheront pas le mariage : un chapeau de paille identique au disparu est trouvé parmi les cadeaux des jeunes mariés et remis à Anaide, qui ne devra pas avouer ses frivolités à son mari. Tout rentre ainsi dans l’ordre et se termine dans l’allégresse générale. 

Sur cette trame jubilatoire, Ernesta Rinaldi (1880-1952), la mère de Nino Rota, rédige avec son fils un livret qui s’inspire largement de l’original labichien. La notice de Jens F. Laurson signale que Rota compose cet opéra, le troisième d’une série de dix, dans sa maison de Torre a Mare, près de Bari, en 1944 et 1945, au moment où cette partie de l’Italie est libérée par les forces anglaises. Pour les quatre actes et une quarantaine de scènes, il écrit une musique délicieuse et enjouée, assortie de fines mélodies et d’airs qui se révèlent tour à tour délicats, facétieux ou désopilants. Les vents s’y taillent une belle place. Rodé au rapport musique/image, Rota sait installer un lien naturel avec la dramaturgie. Tout coule de source dans cette partition dynamique, avec ses effets rythmiques, son climat lyrique et un style comico-dramatique léger toujours en situation. Doué pour le pastiche, Rota, tout en conservant la subtilité de la pièce française, s’inscrit dans la tradition de l’opéra italien. C’est une vraie réussite qui fera dire à certains commentateurs qu’Il cappello di paglia di Firenze est peut-être bien le seul véritable opera buffa du XXe siècle.  

La création a lieu à Palerme le 21 avril 1955, avant une programmation à la Piccola Scala trois ans plus tard, dans une production de Giorgio Strehler, puis sur d’autres scènes. Une version discographique paraît en 1975 (RCA, puis Ricordi) : à la tête des chœurs et de l’Orchestre Symphonique de Rome, Nino Rota dirige lui-même une équipe vocale où figurent Daniela Mazzucato, Ugo Benelli et une savoureuse Viorica Cortez ; c’est aussi un film pour la télévision italienne. Programmé à la Monnaie le 6 mars 1976, l’opéra fait l’objet d’un enregistrement public (Gala), avec Magda Olivero, Edoardo Gimenez et Mariella Devia, les forces du théâtre bruxellois étant placées sous la baguette d’Elio Boncompagni. 

Ce vaudeville italien, qui rend justice à l’esprit de Labiche, est ici proposé par l’Opéra de Graz dans une version de studio, enregistrée le 29 mars et le 1er avril 2021. Une initiative à saluer en cette période frileuse pour ce type de projet. Avec une distribution jeune et internationale qui rassemble des habitués du théâtre styrien. Le ténor américain Piotr Buszewski (excellent Fadinard, souvent dans la tourmente), la soprano ukrainienne Tetiana Miyus (une délicate Elena), le Coréen Daeho Kim (Nonancourt, le beau-père suspicieux), la mezzo espagnole Anna Brull (la farfelue baronne), la soprano roumaine Antonia Cosmina Stancu (la rouée Anaide) et quelques autres voix forment une belle équipe lyrique. Les chœurs (la noce) sont déjantés comme il le faut. Le chef italien Daniele Squeo, directeur musical du Pfalztheater de Kaiserslautern depuis la saison 2020-21, mène l’orchestre de la cité autrichienne, avec un geste d’opérette viennoise à la clef et un enthousiasme communicatif.

On savourera comme elle le mérite cette production à laquelle il ne manque qu’une chose : l’image. Un DVD aurait été le bienvenu. Frustration pour le mélomane francophone : le livret intégral s’étale sur près de deux cents pages, mettant en miroir le texte italien et les traductions anglaise et allemande. Mais la moitié de chaque page de droite n’est pas utilisée : la traduction française aurait pu largement y trouver place ! L’inspiration ne vient-elle pas de Labiche ? Cet hommage-là n’aurait pas été superflu.

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 9   Interprétation : 9

Jean Lacroix

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