Polish Violin Duo : une très bonne surprise 

par

Grażyna Bacewicz  (1909-1969) : Suite pour deux violons, Duos faciles sur des thèmes folkloriques pour deux violons ; Tadeusz Paciorkiewicz (1916-1998) : Sonatine pour deux violons ; Michał Spisak (1914-1965) : Suite pour deux violons ; Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Sonate pour deux violons.  Polish Violin Duo : Marta Gidaszewska et Robert Łaguniak.  2022 - Textes de présentation en polonais et anglais -67’07 - DUX 1887

Le répertoire de qualité de duos pour deux violons n’étant pas des plus fournis, on doit saluer une fois de plus une belle initiative de la courageuse et infatigable maison polonaise Dux qui fait ici d’une pierre deux coups : d’une part, elle met en avant des compositeurs et des interprètes polonais (ce qui a valu à cet enregistrement de bénéficier d’une subvention du ministère de la Culture polonais) et de l’autre, elle fait découvrir un répertoire rare d’une qualité surprenante dans de très belles interprétations dues à de jeunes interprètes peu connus chez nous mais incontestablement talentueux.

De tous les compositeurs présents ici et issus d’une même génération, c’est certainement Weinberg qui a soulevé le plus d’intérêt ces dernières années, faisant l’objet d’une véritable renaissance qui l’a fait sortir de l’ombre de son mentor, collègue et ami Chostakovitch. 

Oeuvre de dimensions imposantes (près de 19 minutes), la Sonate s’ouvre par un Allegro molto empreint de rigueur, où se superposent de brefs motifs et où alternent d’ingénieux passages contrapuntiques et de prenants passages lyriques. Comme toujours chez ce grand artiste, on est frappé par sa parfaite maîtrise de la tension avant que le mouvement ne s’achève sur une note rageuse et acharnée. Suit un Adagio d’une réelle profondeur auquel de longues phrases lentes procédant par intervalles réduits contribuent à donner un caractère de musique figée, gelée presque, et qui atteint à une réelle profondeur par une extraordinaire économie de moyens avant de se dissoudre dans un dépouillement quasi webernien. Cette atmosphère glaçante fait beaucoup penser aux mouvements lents des derniers quatuors de Chostakovitch. L’oeuvre se termine sur un Allegro à la sérénité apparemment retrouvée à laquelle vient se mêler une perturbante impression de malaise et de joie forcée. La musique ici s’éteint plutôt qu’elle ne s’arrête.

Autre valeur sûre de la musique polonaise du 20e siècle : Grazyna Bacewicz. Ayant conduit pendant la plus grande partie de sa carrière une activité parallèle de violoniste virtuose et de compositrice, Bacewicz livre dans cette Suite pour deux violons -étonnamment optimiste et solaire pour une oeuvre écrite en pleine Deuxième Guerre mondiale en Pologne occupée- un bel exemple de ce néo-classicisme auxquels s’étaient ralliés dès les années 1920 bon nombre de compositeurs. L’oeuvre compte sept brefs mouvements et s’ouvre sur un Allegro plein d’entrain, pimenté par quelques harmonies astringentes assez “stravinskiennes”. On appréciera le beau lyrisme néo-baroque de l’Andante qui suit. Après un Vivo prestement enlevé, le ravissant Tempo di minuetto néo-classique qui vient en quatrième position est plein de finesse et de charme. Il est suivi d’un Allegro néo-bachien à l’énergique Motorik “hindemithienne”. Après un Andante-Fughetta où les deux violons se livrent à un beau dialogue, la Suite se conclut sur un Allegro aussi bref qu’optimiste.

Oeuvres aux visées didactiques, mais heureusement dépourvues de toute sécheresse académique comme de simplisme, les Duos faciles puisent dans les richesses du folklore polonais avec deux Krakowiak gais et enlevés et un tendre Kujawiak. Ils s’achèvent sur une Piosenka (Chanson) toute de douceur mais sans la moindre mièvrerie. Le plus beau moment de ces brèves compositions est sans nul doute le touchant et rêveur Nocturne.

Mais les vraies révélations de cette parution sont à mettre au compte d’un inconnu, Tadeusz Paciorkiewicz et d’un oublié, Michał Spisak.

Le cas de Spisak est particulièrement interpellant. Comment se fait-il qu’un auteur de cette qualité - et qui par ailleurs remporta à deux reprises le Concours Reine Elisabeth de composition, en 1953 et 1957- soit à ce point tombé dans l’oubli ? Après de sérieuses études de violon et de composition dans son pays natal, il se rendit à Paris en 1937 pour bénéficier de l’enseignement de Nadia Boulanger. Même s’il resta en France par la suite, il garda toujours le contact avec ses collègues polonais (dont Bacewicz et l’excellent compositeur et chef d’orchestre Jan Krenz). Fut-il, en tant qu’émigré, boycotté pour des raisons politiques en Pologne, ou -imprégné qu’il était du néo-classicisme de Nadia Boulanger et du Stravinsky de l’époque- se trouva-t-il simplement relégué dans l’ombre par le trio Lutoslawski-Penderecki-Baird plus ouvertement moderne et resté au pays? Difficile à dire.

Mais sa Suite pour deux violons fait entendre une voix forte et originale. On admire la force expressive de l’Allegro d’ouverture, la subtilité du Tranquillo, la sérénité et la profondeur des deux Chorals, un Adagio intense et très expressif, un Scherzando finement mordant. Après la subtilité et l’atmosphère prenante de l’Andante, l’oeuvre se conclut sur un féroce Finale. Violoniste lui-même, Spisak écrit superbement pour l’instrument. 

La réputation de Paciorkiewicz -organiste, compositeur et enseignant respecté en Pologne- n’a pas franchi les frontières de son pays natal. Le coeur de sa Sonatine pour deux violons est un Andante en trois parties. Un épisode central animé est encadré de deux sections où pointe une touche de mélancolie qui se transforme ensuite en profondeur inattendue, le mouvement se concluant sur une émouvante note de douceur. L’oeuvre s’ouvre sur un Allegro con spirito vigoureux et astringent et se termine sur un Presto vif, entraînant et d’une belle variété rythmique. Cette musique intelligente et sensible intéresse immanquablement par son matériau varié et pose de sérieuses exigences de virtuosité aux interprètes.

Ce passionnant florilège est défendu avec talent et intelligence par le Polish Violin Duo. Lauréats de nombreux concours en Pologne, les jeunes violonistes Marta Gidaszewska et Robert Łaguniak  se révèlent d’excellents interprètes n’hésitant pas à sortir des sentiers battus. A découvrir sans hésiter.

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 8 (Bacewicz), 10 (Paciorkiewicz, Spisak, Weinberg) - Interprétation 9

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