Portrait ardent du violoniste Daniel Hope
Belle Epoque. Ernest CHAUSSON (1855-1899) : Concert pour violon, piano et quatuor op. 21 (version avec orchestre à cordes). Claude DEBUSSY (1862-1918) : Rêverie, La Fille aux cheveux de lin et Minstrels. Jules MASSENET (1842-1912) : Méditation de Thaïs. Richard STRAUSS (1864-1949) : Morgen ! Arnold SCHOENBERG (1874-1951) : Notturno et Pièce en ré mineur. Edward ELGAR (1857-1934) : Chanson de matin op. 15/2 et Introduction et Allegro op. 47. Serge RACHMANINOV (1873-1943) : Romance op. 6/1. Alexander ZEMLINSKY (1871-1942) : Sérénade. Charles KOECHLIN (1867-1950) : Quatre petites pièces op. 32. Gabriel FAURE (1845-1924) : Andante op. 75 et Morceau de lecture. Maurice RAVEL (1875-1937) : Sonate posthume. George ENESCO (1881-1955) : Impromptu concertant. Paul JUON (1872-1940) : Berceuse op. 28/3. Alban BERG (1885-1935) : Winter. Frank BRIDGE (1879-1941) : Valse russe. Fritz KREISLER (1875-1962) : Liebesleid. Reynaldo HAHN (1874-1947) : A Chloris. Anton WEBERN (1883-1945) : Quatre Pièces op. 7. Daniel Hope, violon ; Lise de la Salle, piano ; Simon Crawford-Phillips, piano ; divers solistes ; Orchestre de chambre de Zurich. 2020. Livret en anglais et en allemand. 144.50. Un album de 2 CD DG 483 7244.
Né en 1973 en Afrique du Sud, Daniel Hope quitte son pays natal lorsque son père, le romancier Christopher Hope, engagé contre l’apartheid, choisit l’exil. Après Paris, la famille s’établit à Londres, où la mère de Daniel Hope va devenir l’assistante de Yehudi Menuhin. Celui-ci prend le jeune homme sous son aile et joue avec lui à de nombreuses reprises, notamment à la télévision. Lors du concert d’adieu de Menuhin, le 7 mars 1999, Hope interprète le Concerto de Schnittke sous sa direction. Il participe à l’aventure du Beaux-Arts Trio, de 2002 à sa dissolution en 2008, et se produit régulièrement en soliste ou en dirigeant des orchestres de chambre. Intéressé par la musique de notre temps, il commande des œuvres pour violon à toute une série de compositeurs, au nombre desquels on relève les noms de Goubaïdoulina, Kurtag ou Penderecki. Musicien atypique, Hope enregistre pour DG des concertos du répertoire, mais aussi Les Quatre Saisons de Vivaldi dans la version révisée de Max Richter ou des récitals à titre (« Sphères », « Escape to Paradise »), qui comportent des partitions diverses, à l’agencement parfois hétéroclite. Le présent album de 2 CD porte aussi un intitulé, Belle Epoque, appellation qui ne demande guère d’explications, le simple énoncé des partitions retenues, dont certaines font l’objet d’arrangements, définissant le contexte.
Daniel Hope s’entoure d’une galerie d’interprètes dans le premier CD, consacré à la musique orchestrale (avec, au gré des pages, la pianiste Lise de la Salle, les harpistes Jane Berthe et Maria Todtenhaupt, la soprano Mojca Erdmann, le violoniste Daria Zappa, l’altiste Ryszard Groblewski, le violoncelliste Nicola Mosca), Hope dirigeant de son instrument, lorsque c’est nécessaire, l’Orchestre de Chambre de Zurich. On est heureux que l’album s’ouvre par une partition de grande ampleur, l’Opus 21 de Chausson, car tout le reste, second CD compris, est un mélange de toute une série de pièces destinées avant tout à mettre en valeur le jeu chatoyant et passionné de Daniel Hope dont la facilité est manifeste, et qui ne cultive pas ici le narcissisme que d’aucuns lui ont parfois reproché. Son archet est le plus souvent mesuré, équilibré et sert les partitions. Le Concert de Chausson est joué non pas dans la version avec quatuor, mais avec orchestre de chambre. L’introduction débute comme il est indiqué : Décidé, avec cette atmosphère à la fois sombre et sobre qui caractérise ce mouvement aux consonances éminemment chaudes. La partition est servie avec feu et fougue, les partenaires rivalisant d’ardeur, mais aussi d’émotion. La Sicilienne qui suit se déroule dans le climat rêveur qui lui convient, le piano lustré de Lise de la Salle, dont on apprécie la finesse, soutient avec bonheur le violon de Daniel Hope. La méditation du troisième mouvement traduit un pessimisme latent. Quant au final Très animé, il se déploie dans un élan rythmique d’une grande clarté. Voilà une belle version moderne de cette page du meilleur Chausson !
A partir de là, l’affiche de ce premier CD est construite comme faire-valoir des qualités violonistiques de Hope (c’est le but !), même si les divers partenaires sont bien en place. On ne boudera pas sa Méditation de Thaïs, d’une poignante pudeur, ni le Morgen ! de Richard Strauss que Mojca Erdmann, une excellente mozartienne, et Daniel Hope chantent avec émotion, leurs « instruments » respectifs se respectant dans un instant de grâce, ni les pièces d’Elgar, en hautes couleurs poétiques. Des arrangements ont été nécessaires pour plusieurs morceaux du programme, on en saluera l’opportunité et la finesse. On ne peut que s’incliner, tout au long de ce parcours, devant le jeu du virtuose, souvent flamboyant, tour à tour charmeur, fluide ou séducteur.
Le second CD est un récital avec piano, le partenaire étant Simon Crawford-Phillips, qui est par ailleurs chef d’orchestre et conseiller artistique. C’est un complice habituel de Hope, avec lequel on devine une belle entente. Un patchwork de vingt-trois plages pour une quinzaine de compositeurs parmi lesquels on se réjouit de trouver des pièces de Koechlin accompagnées par le cor de Stefan Dohr, la délicieuse Berceuse de Paul Juon, ou les Quatre pièces de l’opus 7 de Webern. Le phrasé épuré que l’on entend montre que Daniel Hope possède de réelles affinités avec des univers tout aussi éloquents, ceux de Zemlinsky, Fauré, Enesco, Berg ou Reynaldo Hahn. Le virtuose joue un Guarneri del Gesù de 1742, l’Ex-Lipinski. L’enregistrement a été effectué au Studio Teldex de Berlin, en avril 2019 pour le CD n° 1, et trois mois plus tard pour le CD n° 2. Que conclure ? Que cet album que l’on aurait pu considérer comme une série de cartes de visite complaisantes pour un artiste vu parfois comme touche-à-tout, est au contraire le témoignage d’un art raffiné, approfondi et, osons le mot, souverain.
Son : 9 Livret : 8 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix