Profusion de baguettes en culottes courtes ? Chance ou fléau ? 

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Le milieu musical a fait grand cas des récentes nominations à des postes de directions musicales de très jeunes chefs d’orchestre, on pense en particulier à la désignation des Finlandais Tarmo Peltokoski (22 ans) à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et à celle de Klaus Mäkelä (27 ans) au pupitre de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam. A regarder la situation des orchestres, il y a en effet une profusion de jeunes chefs, que ce soit à la tête des phalanges de prestige ou des orchestres plus modestes. 

D’un côté, ce n’est pas foncièrement nouveau tant des grands chefs du passé ont effectué des débuts de manière précoces et ont obtenu des mandats de direction avant 30 ans : ainsi Herbert von Karajan, directeur musical à 27 ans à Aix-la-Chapelle fut  le plus jeune de son temps à ce type de poste. Mais ce qui caractérise notre époque, c'est tant la multiplication des mandats confiés à des très jeunes chefs mais surtout  le cumul des postes :  Klaus Mäkelä est déjà attaché à l’Orchestre philharmonique d’Oslo, à l’Orchestre de Paris et désormais au Concertgebouw d’Amsterdam alors que son nom est cité à Chicago et le fut même à New York. Tarmo Peltokoski est attaché à des degrés divers à l’Orchestre national de Lettonie, au Philharmonique de Rotterdam et à la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême.  Certes, dans ces deux cas, il s’agit de talents extraordinaires tels qu’il en apparaît 1 ou 2 par décennie. 

Bien évidemment, la mise en avant de jeunes chef(fe)s répond à un certain culte actuel dévolu au jeunisme.  Un jeune visage serait plus à même d’attirer des médias eux-mêmes avides de nouveautés et capable de renouveler au charisme et au brio les publics vieillissants et clairsemés, mantra des décideurs culturels, même si parfois cela tient plus d’incantations de type “danse de la pluie”. 

Tout le milieu musical reste encore hypnotisé par le syndrome Simon Rattle, le jeune chef anglais nommé, en 1980, chef d’orchestre auprès City of Birmingham Symphony Orchestra (CBSO) à seulement 25 ans et qui pendant 18 ans fera de cet orchestre l’un des plus médiatisés tant par des tournées que par les nombreux albums enregistrés pour EMI tous acclamés par la critique. Cependant, cette vision repose sur deux axes bien oubliés qui ne sauraient être répéter tel un mouvement perpétuel : en dépit des immenses qualités musicales et artistiques du chef anglais, le CBSO était déjà un orchestre britannique de très haut rang qui fut dirigé par des personnalités comme Adrian Boult, Rudolf Schwartz ou le trop oublié Louis Frémaux et l’arrivée du CD fut un vecteur essentiel et unique de la médiatisation du travail du chef, soutenu par une major du disque qui acceptait des choix éditoriaux parfois aventureux.  Désormais, tous les orchestres financent eux-mêmes leurs moyens de diffusion avec des bonheurs mitigés...Un jeune chef a également d’autres avantages, surtout à une époque où l'équilibre des fonctions artistique/administratif penche défavorablement en faveur du second domaine…tandis que les musiciens aimeraient une fougue qui sort de la routine, sans perde de vue, le lobbying intensif des agences artistiques.

Mais dans les discussions autour de la pertinence de nommer de très jeunes artistes à des fonctions de directions musicales, un aspect est oublié : celui d’une classe démographique creuse entre les jeunes pousses de moins de trente ans et les chefs de statures internationales : Esa-Pekka Salonen, Daniele Gatti, Christian Thielemann, Antonio Pappano, Marin Alsop, Riccardo Chailly, Paavo Järvi, David Zinman, Marek Janowski, Fabio Luisi, Zubin Mehta, Michael Tilson Thomas, Charles Dutoit, Semyon Bychkov, Riccardo Muti, Kent Nagano, Herbert Blomstedt sont tous au-delà des 60 ans. Quand Simon Rattle débutait son mandat au CBSO, Herbert von Karajan, Leonard Bernstein, Carlo Maria Giulini, Kurt Sanderling ou Georg Solti dominaient la scène, suivis de Claudio Abbado, Seiji Ozawa, Colin Davis, Pierre Boulez, Daniel Barenboïm, Lorin Maazel, Bernard Haitink, Kurt Masur et ses jeunes condisciples se nommaient Esa-Pekka Salonen, Jukka Pekka Saraste…Il y avait un certain équilibre entre les générations. 

Certes, il y a d’excellents chefs et cheffes entre 30 et 60 ans, mais ces baguettes ne sont pas si nombreuses pour occuper tant de postes : la très talentueuse Karina Canellakis est déjà attachée à 3 orchestres de renom à Amsterdam (​​Radio Filharmonisch Orkest),  Berlin (Rundfunk-Sinfonieorchesters Berlin) et Londres (London Philharmonic) alors que le surdoué Lahav Shani qui vient d’être nommé au Philharmonique de Munich, quittera le Rotterdam Philharmonic Orchestra mais conservera son mandat auprès du Philharmonique d'Israël. Quand un orchestre a une perle rare sous la main, il tente par tous les moyens de sécuriser sa présence à l’image de la récente prolongation jusqu’en 2030 du mandat de l’excellent Yannick Nézet Séguin au Philadelphia Orchestra tout en étant chef à vie de son cher Orchestre métropolitain de Montréal et chef au MET de New York.    

Pourtant, il n’y a jamais eu autant de musicien(ne)s qui veulent être chef(fe)s d’orchestres : les 275 places au concours de Besançon ont été pourvues en moins de 24h !  De plus en plus de chef(fe)s se limitent à des orchestres spécialisés et indépendants, rechignant à investir dans les structures institutionnelles à l’image de Laurence Equilbey qui se voue très majoritairement à son Insula Orchestra. Cette constatation n’est en rien une critique, c’est juste un fait établi, alors que d’autres instrumentistes passés des pupitres aux podiums s’aventurent également avec parcimonie avec des phalanges traditionnelles, souvent intransigeantes avec eux.  

Mais l’un des dangers de cette multiplication des jeunes chefs, est qu’ils se grillent vite les ailes ou qu’ils s’enkystent dans une routine précoce sans travailler en profondeur. Il semble loin le temps où les apprentis chefs montaient pas à pas les marches vers la notoriété et commencer par potasser le répertoire dans des petits théâtres (avant Aix-la-Chapelle, Karajan avait fait ses gammes au modeste opéra de Ulm), désormais c’est l'autoroute pour la gloire, mais sans filet au risque de laisser des rancoeurs et de casser des réputations en construction avec des choix de répertoire hasardeux, des résultats artistiques décevants ou un manque d’investissement dans toutes les facettes d’un mandat de direction musicale….    

Pierre-Jean Tribot    

Crédits photographiques : Pixabay

   

 

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