Midori et Jean-Yves Thibaudet, densité et équilibre pour les sonates de Beethoven

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonates pour violon et piano, intégrale. Midori, violon ; Jean-Yves Thibaudet, piano. 2022. Notice en anglais, en français et en allemand. 237.30. Un coffret de 3 CD Warner 5054197215360.

Sauf erreur, c’est la première fois que Midori (°1971) et Jean-Yves Thibaudet (°1961) sont réunis au disque. Et pas pour n’importe quel défi : la présente intégrale des dix sonates pour violon et piano de Beethoven a fait l’objet de deux séances d’enregistrement, l’une en janvier 2022, l’autre en juin, au Zipper Hall de la Colburn School, un établissement privé de Los Angeles destiné à la musique et à la danse. Pour la virtuose américaine d’origine japonaise, c’est un peu une suite logique à sa version récente du Concerto pour violon du maître de Bonn. Nous avons fait écho le 19 février 2022 à cette gravure, déjà pour Warner, avec le Festival Strings de Lucerne, placé sous la direction de Daniel Dodds. Nous avons alors souligné la noblesse du geste de Midori, mais aussi sa subtilité et sa limpidité épurée. 

Midori joue depuis longtemps un violon Garnerius del Gesù qui fut la propriété du Polonais Bronislaw Huberman, l’un des interprètes de Beethoven les plus appréciés de son temps (1882-1947). Un instrument précieux dont elle exploite la sonorité avec beaucoup d’élégance. C’est encore le cas dans cette intégrale très réussie, à laquelle nous faisons un accueil global des plus favorables. On est séduit dès le premier disque de l’album, consacré aux quatre premières sonates, les trois de l’opus 12, publié en 1799, et celle de l’opus 23, éditée deux ans plus tard. Les deux partenaires soulignent avec alacrité ces pages en trois mouvements, fluides, volubiles, qui se déroulent dans un échange spontané plein de charme et de sensibilité. 

La Sonate n° 5 op. 24 « Printemps » ouvre le deuxième disque qui accueille aussi les deux premières pages de l’opus 30. Ce printemps est bien radieux et respire une émouvante joie de vivre. L’élan commun est maîtrisé et ne se laisse pas égarer dans un épanchement hors de propos. Le duo confère à cette première sonate en quatre mouvements, éditée elle aussi en 1801, une dynamique qui englobe le raffinement du violon et l’ardeur du piano. Il y a une euphorie dans ce jeu complémentaire qui allie la simplicité du propos à la chaleur d’une allègre liberté. Tout en grâce, l’Adagio molto espressivo se déroule dans une sérénité bienveillante. Le violon chante avec délicatesse, tandis que le piano cisèle l’espace : la pudeur est au rendez-vous. Les trois partitions de l’opus 30, composées en 1802, sont publiées l’année suivante. Dans peu de temps, ce sera l’époque où le drame de la surdité deviendra concret pour Beethoven. Dans la Sonate n° 6, Midori et Thibaudet semblent un peu en recherche de complicité face aux accents de tendresse de l’Adagio molto espressivo, mais l’Allegretto conclusif et ses six variations trouvent le rythme juste. La Sonate n° 7 est abordée avec une énergie volontaire, et une densité qui trouve un accomplissement dans un Allegro final.

La Sonate n° 8, troisième de l’opus 30, ouvre le dernier volet de l’album. Retour ici à trois mouvements, dont l’Allegro vivace conclusif, tout en brièveté, montre le plaisir des deux interprètes à jouer ensemble. La « Kreutzer », neuvième de la série, l’opus 47 de 1803, est une belle réussite, peut-être la meilleure de cette intégrale. L’introduction de l’Adagio sostenuto ouvre un contexte où plane un certain mystère, avant le Presto qui suit, le violon et le piano se partageant une homogénéité fougueuse et tranchante, attentive et complice. Ce climat se prolonge dans l’expressivité et la poésie de l’Andante et de ses quatre variations. Le Presto, qui est parfois l’objet d’un duel entre les instruments, offre ici un sain équilibre de rythmes colorés. L’album s’achève par la Sonate n° 10, l’opus 96 de décembre 1812. Excellente conception, d’une grande lisibilité, qui ne néglige pas la délicatesse du propos, la profondeur de la pensée, ni le dynamisme.

Midori et Jean-Yves Thibaudet, dans cette intégrale qui s’écoute avec un plaisir renouvelé, font la démonstration de leur longue expérience d’interprètes, sensibles et élégants. Ils se mettent au service de cette musique avec une volonté manifeste d’équilibre, alliant la simplicité et l’humilité à une réflexion pleine de maturité. Ils combleront les amateurs de beau son qui ajouteront cet album de sonates de Beethoven à ceux qu’ils détiennent déjà.   

Son : 9  Notice : 7  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

 



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