Reinoud Van Mechelen peaufine les airs pour ténor de Mozart

Wolfgang Amadeus Mozart (1765-1791) : Airs de concert pour ténor : Va, dal furor portata KV 21/19c ; Or che il dover KV 36/33i ; Si mostra la sorte KV 209 ; Con ossequio, con rispetto KV 210 ; Se al labbro mio non credi KV 295 ; Per pietà, non ricercate KV 420, et Misero ! o sogno KV 431/425b. Extrait de Mitridate, ré di ponto KV 87/74a, Acte I : Se di lauri il crine adorno. Reinoud Van Mechelen, ténor et direction ; A Nocte Temporis. 2023. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes reproduits, avec traductions anglaise et française. 58’. Alpha 1114.
Le petit nombre d’airs pour ténor de Mozart, qu’ils soient de circonstance ou en capacité d’être insérés dans un ouvrage lyrique d’un de ses contemporains, font l’objet du présent album pour lequel, ainsi que le précise Nicolas Derny dans sa notice, ont été retenus les sept entièrement écrits de la main du compositeur. À la tête de l’ensemble A Nocte Temporis, qu’il a fondé en 2016 avec la flûtiste Anna Besson et qui pratique l’approche historiquement informée, Reinoud Van Mechelen (°1987) offre un brillant panorama de ces pages inspirées, qui témoignent aussi bien de la précocité du tout jeune Mozart que de sa période viennoise.
On connaît les qualités de la voix du ténor louvaniste : aisance dans les différents registres, maîtrise de l’aigu, du médium et du grave, souffle ouvragé, limpidité du timbre, délicatesse et subtilité du phrasé, capacité de vocalises audacieuses… Tous ces acquis se retrouvent, superbement développés, dès l’ouverture du présent programme, Se di lauri il crine adorno, un extrait du premier acte de Mitridate, créé avec succès au Teatro Regio Ducal de Milan en décembre 1770, alors que Mozart n’a que quatorze ans. Choix judicieux qui salue l’entrée du rôle-titre dans l’opéra, et celle du ténor belge qui fait ici la démonstration de sa facilité déclamatoire. Mais l’art du jeune Wolfgang s’est déjà manifesté et affirmé cinq ans auparavant dans Va, dal furor portata, sur des vers de Metastase (1698-1782), où les reproches d’ingratitude sont présents ; il autorise des vocalises et des nuances expressives dont se joue aisément Van Mechelen. L’ordre choisi pour le programme n’est pas chronologique : l’air de toute jeunesse (1766) Or che il dover, auteur du texte non connu, est placé en fin de parcours, avec ses variations entre désordre et apaisement, dans un contexte d’apparat raffiné. Mozart est bien prêt pour donner l’année suivante son Apollo und Hyacinth.
On avance de dix ans pour Si mostra la sorte (1775), entre constance du courage amoureux et entraves de la timidité, bref moment auquel lequel les flûtes apportent leur fraîcheur, et pour Con ossequio, con rispetto, tout aussi bref, où pointe un aparté ironique. L’air le plus long (treize minutes) est au centre du lot. Se al labbro mio non credi, qui date de fin 1777/début 1778, lors d’un séjour à Mannheim, s’inspire à nouveau de Metastase. Il était destiné à un brillant ténor du temps, Anton Raaf (1714-1797), qui créera Idoménée ; la touche sentimentale domine, mais elle est tourmentée, servie par une sobriété expressive que le fin dialogue avec l’orchestre nimbe d’intimité. Un superbe moment de chant !
Deux airs de la période viennoise complètent l’affiche. Nous sommes en 1783. Mozart offre à un autre ténor, Johann Valentin Adamberger (1740-1804), Belmonte peu auparavant dans L’Enlèvement au sérail, une palette tragique dans Per pietà, non ricercate, où un destin funeste appelle à souhaiter la mort. Autre registre douloureux, à la fin de la même année, avec Misero ! o sogno, drame de la solitude, sur un très beau texte proche du romantisme, avec une présence des bois qui soulignent un sort cruel et sans issue.
Avec son ensemble A Nocte Temporis, dont il assure une direction à l’esthétique adéquate, Reinoud Van Mechelen propose, à tout instant de ce magnifique programme, une intensité poétique, qui donne à chaque air sa noblesse, sa haute valeur lyrique et sa profonde distinction. Un régal à savourer comme il le mérite. On se souviendra de Werner Hollweg et Jozsef Réti, respectivement chez Philips et Hungaroton au temps du microsillon dans les années 1970, ainsi que de Christophe Prégardien à deux reprises, chez Virgin en 1989 avec Sigiswald Kuijken, puis chez CPO en 2001, avec Michi Gaigg et, encore, de Rolando Villazon chez DG en 2013. Mais Van Mechelen est à placer sur le tout premier rayon mozartien.
Son : 10 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix