Nicolas Altstaedt emmène un excellent Philhar’ dans un exaltant voyage de Schumann à Haydn

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Nicolas Altstaedt est assurément l’un des musiciens actuels les plus complets, et à qui tout semble réussir. Violoncelliste, autant spécialiste de musique baroque qu’à l’aise dans la création contemporaine, il est recherché comme chambriste par les instrumentistes les plus enthousiasmants du moment, et invité comme soliste par les orchestres les plus prestigieux. Il commence aussi à l’être comme chef d'orchestre, activité dans laquelle il semble aussi doué et probant qu’avec son violoncelle. 

Pour ce concert, il était à la fois soliste et chef d’un Orchestre Philharmonique de Radio France en formation réduite, qui jouaient tous debout (à l’exception, naturellement, des violoncelles). Ils nous proposaient un programme tout à fait épatant.

Tout d'abord, le Concerto pour violoncelle de Robert Schumann. Nicolas Altstaedt en a réalisé un superbe enregistrement (étonnamment couplé avec les Variations Rococo de Piotr Ilitch Tchaïkovski, aussi virtuoses que Schumann l’est peu, et l’inclassable Concerto de Friedrich Gulda, dans lequel il y a à boire et à reboire, ce que notre violoncelliste franco-allemand accomplit avec une maestria consommée). C’était en 2009, et il était accompagné par un véritable orchestre symphonique (le Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz), sous la direction d’un chef chevronné (Alexander Joel).

Contexte très différent à Radio France, avec seulement dix violons (également répartis entre premiers et seconds, qui se faisaient face), quatre altos, trois violoncelles et trois contrebasses. Alors que, souvent, il faut un temps d’adaptation quand les effectifs ne sont pas ceux que nous avons l’habitude d’entendre, ici nous avons été immédiatement à l’aise. Avec cette texture aérée, et cet équilibre idéal, la lisibilité de toutes les parties, et en particulier des vents, est optimale.

Même dans les passages où il ne joue pas, et où il doit se retourner pour faire face à l’orchestre, plutôt que de réellement diriger, Nicolas Altstaedt donne des impulsions. La dimension chambriste, qui culmine dans le mouvement lent, est exceptionnelle. Les musiciens adaptent merveilleusement leurs nuances au soliste, et dans le finale, c’est plutôt le soliste qui s’insère dans l’orchestre. Sa vision d’ensemble, avec des transitions époustouflantes, est d’une cohérence qui dément magistralement la réputation de décousu qui est parfois celle de ce concerto. 

Du point de vue instrumental, la variété du jeu de Nicolas Altstaedt force l’admiration : vitesses d’archet, plus ou moins près du chevalet ou sur la touche, vibratos et plus généralement toutes les articulations de main gauche... Chaque note pourrait être commentée ! Il ne privilégie pas le beau son à tout prix, mais l’énergie, et surtout une certaine joie, bien loin de l’image d’un Schumann torturé que ce concerto, pour certains, reflète.

Le programme de salle fait état du désintérêt des compositeurs, « après les vingt-sept de Vivaldi et les sept de Haydn » (dont seuls deux sont incontestablement de la main de Haydn), pour écrire de nouveaux concertos pour violoncelle. À entendre ainsi celui de Schumann, qui donc brisera un silence de soixante-sept années, on perçoit une continuité.

Avant de retrouver, précisément, Haydn, il y avait au programme une pièce rare : La Joie de vivre de Wilhelm Killmayer. Il s’agit d’une œuvre d’environ treize minutes, écrite en 1996 par ce compositeur allemand, né en 1927 et mort en 2017, considéré par certains spécialistes comme bien plus important que son manque de notoriété ne le laisse penser. De fait, refusant le sérialisme, il a trouvé sa propre voie, et se trouve difficile à classer. La Joie de vivre flirte avec le minimalisme, avec ses motifs volontiers répétés, mais avec des solos qui, pour le coup, sont très changeants. 

Écrit pour la même formation que les premières symphonies de Haydn (six violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, deux hautbois, un basson, deux cors et timbales), ce « Concerto de chambre pour petit orchestre avec hautbois obligé » fait la part belle aux cordes, mais avec une utilisation assez inédite des vents. C’est ainsi que l’on a, au début, un solo de cor dans le suraigu : Alexandre Collard trouve de troublantes sonorités de célesta. Un solo de violon suit, qui permet à Nathan Mierdl de nous enchanter de ses gazouillements, avant un passage de cordes à l’unisson, qui commencent avec les six violons (les musiciens du Philhar’ s’en tirent honorablement, mais ce n’est pas très charitable de la part du compositeur !). Suit une assez longue séquence qui semble être inspirée de la musique traditionnelle irlandaise, de plus en plus agitée : un unisson très rapide de toutes les cordes, contrebasse comprise ; le hautbois, à nouveau dans le suraigu , interprété avec un beau sens du swing et beaucoup d’assurance par Gabriel Pidoux ; un nouveau solo de violon, d’une très grande difficulté (ce qui, bien entendu, ne fait pas peur à Nathan Mierdl), et enfin un solo de contrebasse, que l’on pourrait qualifier de sportif, dont s’acquitte valeureusement Christophe Dinaut. La pièce se termine dans le calme, d'abord avec un solo de violoncelle qui permet à Adrien Bellom de confirmer la douceur et la sensibilité dont il avait déjà fait preuve dans le duo avec le soliste dans le mouvement lent du Concerto de Schumann. Puis le hautbois a le dernier mot.

C'était un concert (relativement) court, sans entracte. Juste après cet hommage, par son effectif, aux premières symphonies de Haydn, place de l’une de ses dernières, pour laquelle l’orchestre retrouve la disposition du Concerto de Schumann (sans les clarinettes) : la Symphonie N° 97, en ut majeur. Comme elle n’a pas de sous-titre, ce n’est pas l’une des plus célèbres. Et pourtant, que de merveilles elle contient ! 

Le premier mouvement est idéalement vif et léger. Même si ce mouvement artistique était alors antérieur, on y perçoit encore de poignants relents « Sturm und Drang » (« tempête et passion »). L’Adagio est, comme demandé, ma non troppo. Nicolas Altstaedt dirige large, préférant faire sentir ce qu’il y a au milieu des temps plutôt que de l’expliciter. Dans ce mouvement à variations comme Haydn les aime (et dans lesquels il fait preuve de tout son génie inventif), le chef caractérise chaque variation (en demandant par exemple aux cordes de jouer sur le chevalet), sans perdre de vue l’unité de l’ensemble. Le Menuet est robuste, sans aucune lourdeur, avec un Trio central d’une élégance rare. Quant au Finale, il est d’une remarquable fluidité, avec d’étonnantes nuances difficiles à définir. Quelle énergie !

Ainsi dirigé, l’Orchestre Philharmonique de Radio France peut rivaliser avec les meilleures formations « historiquement informées ». Il faut dire qu’ils n’en sont pas à leur première collaboration, et cela s’entend. Et puis, Nicolas Altstaedt, quel musicien ! Son corps entier, jusqu’à sa manière de tourner les pages (pas toujours discrètement), respire la musique à chaque seconde.

En bis, il présente le mouvement lent de la Symphonie N° 13 de Haydn, dans lequel, accompagné des seules cordes, il y a une partie de violoncelle digne d’un concerto, dans l’aigu, d’une luxuriante ornementation, et qu’il joue avec une incomparable science de la phrase musicale. Du grand art, assurément.

Paris, Auditorium de Radio France, 26 avril 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques : Christophe Abramowitz / Radio France

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