Révélation de Coronis, zarzuela politico-amoureuse, enfiévrée par Vincent Dumestre

par

Sebastián Durón (1660-1716) : Coronis, zarzuela en deux journées. Ana Quintans, soprano [Coronis]. Isabelle Druet, mezzo-soprano [Triton]. Cyril Auvity, tenor [Proteo]. Anthéa Pichanick, contralto [Menandro]. Victoire Brunel, mezzo-soprano [Sirene]. Marielou Jacquard, mezzo-soprano [Apolo]. Caroline Meng, mezzo-soprano [Neptuno]. Brenda Poupard, mezzo-soprano [Iris]. Olivier Fichet, ténor [cantante del coro]. Vincent Dumestre, Le Poème Harmonique. Avril 2021. Livret en français, anglais, allemand ; paroles en espagnol traduit en français et anglais. TT 40’41 + 58’02. Alpha 788

Après Juan Hidalgo (1614-1685) et avant Antonio Literes (1673-1747), Sebastián Durón fut un des principaux instigateurs du répertoire lyrique espagnol. On lui doit une dizaine d’opéras, comédies et zarzuelas dont La Guerra de los gigantes et cette trépidante Coronis qui lui a été attribuée en 2009 (la manquante page-titre du manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne a requis une étude musicologique pour en restituer la paternité). « Une pastorale étonnamment épique et brutale où se succèdent triomphes, sacrilèges, incantations, combats célestes, incendies et tremblements de terre, ose la fusion de l’art italien avec le modèle espagnol » selon la notice de Vincent Dumestre. Laquelle ne précise pas les quelques ajustements de détail pratiqués sur la partition. Qu’importe, vive le résultat. Le cadre mythologique invite tant des dieux que des personnages parodiques (les graciosos Menandro et Sirene), principalement confiés à des voix féminines. L’influence du dramma per musica italien transparaît dans les arias da capo, les vocalises, sans dissimuler un idiome fait de multiples formes et modes d’expression. Le mélange des tons, du plus sérieux à la truculence, surpasse le foisonnement poly-stylistique et la spectaculaire scénographie du Masque anglais, et rappelle les contrastes stylistiques de Francesco Cavalli, dans une veine hispanisée. 

L’argument dérive librement de la légende d’Ovide mais, juxtaposant deux « journées » aux intrigues croisées, déroge à la règle des trois unités du théâtre classique. Le synopsis inclus dans le livret décrit l’histoire de la nymphe courtisée par le monstre marin Triton, dépêché par son père Neptune pour la ravir à sa faveur. Mais Triton est défait. Selon l’oracle de Protée, une querelle se profile entre le souverain des mers et Apollon, symbole de lumière et soleil, ce qui divise le peuple de Thrace, hésitant entre ces deux allégeances. Apollon tue finalement Triton, exacerbant le courroux de Neptune. Jupiter envoie Iris pour empêcher toute vengeance, et autorise Coronis à choisir son amant -elle se voue alors à Apollon, signant ainsi la défaite des puissances marines.

Apparue dans le contexte de la Guerre de Succession, opposant Charles II au petit-fils de Louis XIV, l’œuvre alimente les exégèses politiques. Coronis, symbole de la couronne d’Espagne ? Neptune et son fils à queue de poisson, symboles de la menaçante Angleterre qui avait envahi Barcelone par la mer ? Apollon, symbole du rayonnement Bourbon, qui triomphe à la fin de l’œuvre ? Ce qui représenterait ainsi une concession de Durón envers la nouvelle dynastie, lui dont la sympathie pour le règne habsbourgeois lui valut disgrâce et exil au Pays basque où il mourut en 1716.

Produite en partenariat avec les opéras de Rouen, Limoges et Lille, et l’Opéra comique de Paris où elle fut récemment jouée en février dernier, la représentation de cette Coronis avait été inaugurée en novembre 2019 au Théâtre de Caen. Capté en avril 2021 salle Colonne, l’enregistrement reste fidèle à la distribution originale (sauf Cyril Auvity substitué à Emiliano Gonzalez Toro pour Protée) et profita de l’expérience scénique de la création normande -l’équipe vocale francophone recevant les conseils de Sara Agueda pour la prononciation.

Dénuée de dialogue parlé, l’œuvre défile tambour battant, introduite par une Corrente de Juan Cabanilles (1644-1712). Les archets, bois, cordes pincées et clavier (Loris Barrucand, Camille Delaforge) du Poème Harmonique, rehaussé par la percussion de Pere Olive, vivifient les parfums d’Ibérie de ces pages bigarrées. Dominée par Ana Quintans dans le rôle-titre et par Isabelle Druet qui incarne un soupirant très caractérisé, l’équipe de chanteuses brûle les planches. Les numéros d’ensemble sont parfaitement réglés, comme on le vérifie dans l’ardente et intrépide scène 7 ¡Qué desdicha! qui clôt la première Journée. On ne manquera pas les rythmes chaloupés de l’intercession d’Iris (Atended, Parad) par Brenda Poupard. Seule relative déception : emphatique et dure sur les voix, la flagrante prise de son épaissit les nuances de cette musique chatoyante, et pourra fatiguer. En tout cas, l’interprétation flamboie et stimule la découverte de cette zarzuela baroque à laquelle la troupe de Vincent Dumestre insuffle une irrésistible vigueur.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

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