Esquissé comme un Bob Morane, Jean-Luc Fafchamps ouvre ses carnets d’aventurier

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Jean-Luc Fafchamps (1960 -) : Carnets de voyage. Quatuor MP4. 71’55 – 2022 – Livret en : français, anglais. Cypres. CYP8616. 

Peu à peu, à force de jouer une pièce, puis l’autre, le Quatuor MP4, qui conforte son rôle dans la création belge depuis sa naissance en 2008, s’impose comme l’ensemble ayant le mieux pratiqué les compositions de Jean-Luc Fafchamps pour cet effectif traditionnel : lui confier ces Carnets de voyage, recueil de l’ensemble des pièces pour quatuor (à cordes et à clavier) du compositeur, devient donc une évidence aux yeux du compositeur -à l’actualité florissante en ce début d’année (le deuxième volet de son « pop requiem » Is this the end ?, et un autre disque pour la mezzo-soprano Albane Carrère).

On en (re-)découvre le quatrième mouvement lors de l’album release d’avril à Flagey (le lieu même de son enregistrement) mais les Désordres de Herr Zoebius s’épanouissent mieux lorsque l’oreille peut en saisir toutes les parties (développées avec doute et patience entre 1992 et 2003) : le substrat scientifique de son inspiration (le déterminisme, la théorie du chaos, une technique matricielle dérivée de l’embryologie, la fonction quadratique prisée en macroéconomie), l’idée centrale de la coexistence du complexe avec le simple (du hasard avec la détermination, du désordre avec l’ordre), le constat issu de la psychologie cognitive d’une écoute musicale guidée par la rupture des attentes de l’auditeur (suffisamment pour le tenir en haleine, sans excès pour ne pas le perdre). D’un musicien capable d’accepter l’urgence pour l’écriture d’un opéra en temps de Covid ou de s’atteler, à 40 ans, au projet monumental de 28 Lettres Soufies (souvent imposantes) défiant les décennies, on prend avec engouement cette recherche, fondamentale dans son fond, appliquée dans ce qu’elle délivre.

Esquif, Lettre Soufie khà’, la 15e sur les 28 que compte l’alphabet arabe, met MP4 au défi : celui de résister à la tempête électronique qui se déploie alors que les cordes, surprises au saut du lit, luttent pour une vie plus acoustique ou, mieux, celui de se nourrir du chaos numérique pour déconfire l’envahisseur -renversement logique de la lutte du Taenia Saginata pour la conquête de l’intestin grêle. Nuages vus du ciel (trio à cordes et Fender Rhodes) est le calme après l’orage, celui du regard qui plane, juste assez hagard, derrière un hublot (cette fois d’avion, non plus de bateau), une sérénité qu’égratigne à peine des cordes qu’on gratte, qui laisse sourdre ces « perles de pluie, venues de pays où il ne pleut pas ».

Ecrite en 2021 pour Claire Bourdet, Margaret Hermant, Pierre Heneaux et Merryl Havard, du Quatuor MP4, Autoportrait en expirs (physionomie du souffle) est la pièce nouvelle du disque : attachée au souffle, le sien, celui de l’autre, de la créature qui vit car elle respire, elle met en avant l’archet, son action sur les cordes, cet aller et ce retour, mouvement simple, fondamental, vital -une définition de la beauté. De l’ouverture de ces Carnets de voyage (où « on n’y voit bien que les yeux clos »), on va vers la fermeture : s’il porte les atours d’une facétie sous le titre d’un hommage, In memoriam HArry HAIBrEICH révèle (un peu de) ce que le compositeur (sait qu’il) doit à celui qui, non seulement enseigne, mais façonne ce qui fait un être humain, 80 kilos d’os, de chair et de globules à têtes chercheuses, mues par le désir invraisemblable de comprendre, découvrir et créer -ici un univers musical personnel qui, le plus souvent, touche et apprivoise, une complexité, pour nous y donner (généreusement) accès. 

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

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