Roméo et Juliette font revivre le Grand Opéra Romantique à Paris

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Le Grand Opéra Romantique ne serait-il qu’une légende ? 

Cette série de représentations du chef d'œuvre de Gounod en restitue peut-être l’idée, la puissance, la jouissance.

La force de frappe du génie shakespearien, intacte grâce au livret de Jules Barbier et Michel Carré, s’allie à une partition que le chef italien Carlo Rizzi prend à bras le corps. D’un geste ample, il permet à l’ Orchestre et aux Chœurs de l’Opéra de Paris de déployer leurs  coloris les plus soyeux loin d’une sentimentalité un peu niaise parfois associée au compositeur de Faust.  Le ballet et les chorégraphies (Katja Krüger) évoquent indirectement la filiation qui lie Gounod et Meyerbeer (notamment la « Bacchanale des Nonnes » dans Robert le Diable qui inspirera au ténor Adolphe Nourrit l’argument de La Sylphide, berceau de la danse romantique).

Depuis la mise en scène d’Eliogabalo (Cavalli) à l’Opéra Garnier dont nous avions souligné, il y a sept ans déjà, la force et l’intelligence, les qualités du metteur en scène Thomas Jolly n’ont cessé de s’affiner.

C’est peut-être le souvenir de l’ expérience parisienne qui lui a révélé le potentiel dramatique voire « gothique »de l’architecture de Charles Garnier. Le décor (Bruno de Lavenère) se concentre ainsi autour du grand escalier à double révolution qui, tournant sur lui-même, devient salle de bal, proue de navire, chambre, balcon, crypte, canal…

Les déplacements scéniques d’ensemble ou de solistes animent sans cesse l’espace visuel parfois délimité par des éclairages crus ou obscurs (Antoine Travert). 

Ce mouvement quasi perpétuel instille l’angoisse du temps qui fuit, trahit et détruit. Univers instable qui permet d’autant mieux de dégager et mettre en valeur une seule certitude : l’amour incorruptible de Roméo et Juliette. La dynamique du discours est ici transcendée par le jeu et la vocalité d’un couple d’amants idéal. 

Elsa Dreisig, Juliette de feu, délivre un chant aussi franc et lumineux qu’homogène, de « Je veux vivre » jusqu’à son redoutable air « Amour ranime mon courage » (A. IV). 

Son tempérament entier et passionné insuffle une force inhabituelle à la figure de Juliette à la fois vraie et touchante. Quant à l’accomplissement constant de son art, il rejoint celui de son partenaire, le ténor, Benjamin Bernheim/ Roméo. 

Comme elle, ce dernier fait preuve d’une évolution technique et scénique remarquable. Qu’admirer le plus ? La souplesse du legato, les demi-teintes capiteuses, la conduite d’un phrasé qui culmine avec des aigus  expressifs, beaux et jamais démonstratifs. Le public a pour lui les yeux de Juliette.

La constellation qui les entoure, de Tybald (Maciej Kwaśnikowski , agressif comme il convient) au trouble Mercutio (Florian Sempey) en passant par un Stephano virevoltant et un peu brouillon (Marina Viotti), contribue à l’équilibre d’ensemble.

Sylvie Brunet-Grupposo campe une Gertrude digne et simple tandis que Laurent Naouri prête sa noirceur ambiguë au père Capulet. Les interventions de Jean Teitgen, frère Laurent à la diction parfois ouatée, Jérôme Boutillier, sonore duc de Vérone, ainsi que Thomas Ricart (Benvolio), Yiorgo Ioannou (Grégorio), Antoine Foulon (Frère Jean) s’intègrent avec naturel dans le fil du discours.

Ce dernier spectacle de la saison parisienne offre un éclatant hommage à  Charles Gounod et rend, enfin, justice aux séductions du Grand Opéra Romantique.

Paris, Opéra Bastille, 29 juin

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques : Vincent Pontet

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