Splendeurs florentines au Quattrocento : subtil récital des Gothic Voices

par

The Splendour of Florence. Guillaume Dufay (c1397-1474) ; Johannes Ockeghem (c1410-1497) ; Loyset Compère (c1445-1518) ; Antoine Busnois (c1430-1492) ; Hayne van Ghizeghem (c1445-1497) ; Alexander Agricola (c1445-1506) ; Johannes Tinctoris (c1435-1511) ; Anonymes. Gothic Voices. Catherine King, Elisabeth Paul, mezzo-soprano. Steven Harrold, Julian Podger, ténor. Simon Whiteley, baryton-basse. Stephen Charlesworth, baryton. Andrew Lawrence-King, harpes. Livret en anglais ; paroles traduites en anglais. 2022. TT 75’15. Linn CKD 700

Depuis plus de quarante ans et sous diverses configurations renouvelées, les Gothic Voices fondées par Christopher Page ont accumulé une trentaine d’albums, la majorité sous étiquette Hyperion. Voici leur cinquième CD pour le label Linn, pour lequel ils enregistrent depuis 2015. Un précédent disque du Orlando Consort (Hyperion, 2020) nous rappelait la richesse et l’attractivité de la vie musicale à Florence, éminente capitale culturelle à la Renaissance qui attira d’éminents compositeurs de la sphère franco-flamande. Ce disque fournit un autre aperçu de ce foisonnement, par une anthologie qu’alimentent deux sources locales (Biblioteca Riccardiana et Biblioteca Nazionale Centrale). Tant profane que sacré, le parcours débute par un double exergue à la splendeur de cette cité (Terribilis est locus iste et Mirandas parit haec urbs).

Par personnification ou par allusion, le programme conçoit la ville comme un emblème féminin, et justifie un répertoire d’admiration, de tribut amoureux ou de dévotion religieuse, particulièrement mariale (Virgo Dei throno digna ; Alma redemptoris Mater), qu’assombrit un sentiment de perte (Aultre Venus estes sans faille ; Lamentatio sanctae matris ecclesiae). Entre allégories légitimes et putatives, l’hommage emprunte parfois des voies détournées, ainsi le Concupivit Rex où la langueur du roi pour la dame précède judicieusement De tous biens plaine est ma maistresse.

De Guillaume Dufay à Johannes Ockeghem et Johannes Tinctoris, cinq motets illustrent l’évolution vers une polyphonie plus homogène. Les chansons cultivent les codes courtois et la forme du rondeau ou du virelai (De ma haute et bonne aventure), a cappella ou accompagnées par les harpes d’Andrew Lawrence-King, que l’on entend en solo égrener Du tout m’estoie abandonne et Terribile fortuna. Le florilège se referme sur le fameux et emblématique Nuper rosarum Rores, sommet d’ingénierie isorythmique, que la science musicologique a pu analyser comme une prouesse : les proportions internes renverraient aux mensurations architecturales du Duomo de la ville, coiffé de la coupole de Filippo Brunelleschi, qui venait d’être construit en 1436. Là, le choix d’un accompagnement de cordes pincées s’avère plus surprenant, même si les sonorités archaïsantes de ces harpes renvoient à un évocateur idiome médiéviste.

Captée en janvier 2022 dans l’agréable acoustique du Boxgrove Priory de Chichester, la palette vocale présente une étoffe fine, subtilement tissée, cohérente (fruit d’une longue expérience collective) et délicatement moirée. Mais les couleurs tendent à l’uniformité, voire s’affadissent dans une ferveur blême (Alma redemptoris Mater). Articulation et émission manquent parfois d’ouverture et de piquant (De ma haute et bonne aventure). Par ailleurs, on regrette la prononciation fâcheuse de Mon seul et cele souvenir d’Antoine Busnois : la confusion entre l’adjectif « celé » (caché, -sans accent dans la graphie d’époque) et le pronom démonstratif « celle » trahit le sens de la phrase, et se retrouve dans la traduction erronée en plage 13 (« This my only memory »). La lenteur de certains tempos implique des prises de respiration qui auraient pu susciter un relief de diction, cependant lissé par l’étirement des lignes. Le célèbre De tous biens plaine en devient un peu poussif. En revanche, les pages plain-chantesques semblent empressées. Hormis ces quelques réserves, le récital séduit par sa trame harmonieuse et une indéniable douceur euphonique : subtil reflet de la magnificence florentine et des trésors lyriques qu’elle inspira, ou que l’équipe anglaise lui associe avec un soin méticuleux.

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8-9,5 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

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