Interviews
Alla Tolkacheva fait l'événement avec un passionnant album (Indesens Calliope Records) qui explore la mandoline dans la Vienne baroque. L’artiste fait revivre de passionnantes sonates viennoises qui n’avaient pas encore été enregistrées. Crescendo Magazine s’entretient avec cette musicienne d’exception.
Quelle est la place de cet instrument dans le répertoire baroque ?
La mandoline baroque a fait une grande évolution jusqu’à la mandoline moderne. Au XVIIIe siècle, la mandoline était l’un des instruments les plus joués. Très en vogue dans les plus importantes des cours d’Europe, la mandoline a su charmer beaucoup de compositeurs et énormément d’œuvres ont été écrites à cette époque. Le répertoire consacré à la mandoline baroque est donc très riche. On peut citer par exemple Vivaldi, Scarlatti, Hummel, Valentini, Arrigoni… Des luthiers allemands et italiens font aussi actuellement de grandes recherches pour fabriquer des instruments d’époque permettant de retrouver les sonorités et timbres d’autrefois. Tout comme les mandolines contemporaines, je trouve personnellement que la mandoline baroque commence aussi à renaître grâce à divers ensembles qui font des recherches dans les manuscrits, des anciennes éditions et font revivre ces musiques anciennes sur les instruments de l’époque. Toujours en quête d’authenticité, il est important de connaître le style de l’époque et de développer la qualité d’interprétation que ce soit dans la ligne mélodique ou dans la réalisation de la basse continue. C’est grâce à ce travail de recherche et d’analyse que le répertoire baroque permet d’être joué actuellement de plus en plus par des ensembles.
La fabrication de la mandoline évolue-t-elle au cours de la période baroque ?
La mandoline telle que nous la connaissons aujourd'hui a connu plusieurs évolutions au cours de la période baroque. Elle appartient à la famille des luths et fait partie des petits luths. Elle a été jouée dans toute l’Europe et a reçu de nombreux noms tels que mandora, leutino, amandolino, mandola. C’est à Florence, en 1589, que le nom mandola apparaît pour la première fois comme l’un des instruments d’accompagnement du célèbre intermedi de la comédie La Pellegrina . Accordée en quartes, la mandola (connue aussi sous le nom de mandolino ) présente une table d’harmonie plate et un chevalet comme le luth sur lequel sont fixées les cordes. Ensuite, la taille du corps a été agrandie et le nombre de cordes est passé de 4 à 5 jusqu’à posséder 6 cordes doubles accordées en tierces et en quartes. On pouvait jouer de cet instrument avec les doigts ou avec une plume. Au milieu du XVIIIe siècle, la mandola a disparu des scènes et des compositions. Elle a été remplacée par sa grande cousine : la mandoline, dite napolitaine, à quatre doubles cordes accordées en quintes, similaire au violon. La famille de luthiers la plus célèbre de cette période est la famille Vinaccia. D’autres types de mandolines ont ensuite été créés. La mandolone est une mandoline basse qui a souvent été utilisée comme un instrument de basse continue dans la littérature du XVIIIe siècle. La mandoline crémonaise est un tout petit instrument à 4 cordes simples en boyau. Il existait encore des mandolines nommées genovese, florentine, padovano, siciliano... Toutes ces mandolines ont un timbre, une couleur tout à fait particulière et propre à elles-mêmes.
Le chef d’orchestre Jonathan Berman a enregistré une intégrale des symphonies du compositeur Franz Schmidt au pupitre du BBC Wales Symphony Orchestra (Accentus). Jonathan Berman est particulièrement engagé dans la diffusion de l'œuvre du grand musicien, un legs que l’on ne connaît que trop peu dans les pays francophones. A l’occasion de cette parution qui fera date, Crescendo Magazine s’entretient avec le chef d'orchestre à propos de Franz Schmidt.
Vous semblez passionné par la musique de Franz Schmidt. Que représente pour vous ce compositeur dans l'histoire de la musique ?
Pour moi, Franz Schmidt est l'un des grands artisans de la musique classique. Avec des compositeurs comme Ockeghem, Palestrina, Bach, Beethoven, Webern, Ligeti et Ruggles, Schmidt semble créer de la musique à partir de la musique elle-même. Ce que je veux dire, c'est que toute la tension et le drame de sa musique sont construits à partir de notes, de l'équilibre d'une note par rapport à une autre, puis de ces deux notes par rapport à une troisième. Il ne s'agit pas d'un simple exercice scolaire de contrepoint, mais d'une tentative presque philosophique de créer à la fois de la variation et de l'unité.
Il a créé toute sa musique à partir du contrepoint, ce qui signifie que les matériaux musicaux de base sont tous nés des mêmes relations “intervalliques” et de l'attraction gravitationnelle inhérente entre les notes. Cela n'est pas sans rappeler la manière dont l'artiste japonais Katsushika Hokusai construit ses dessins et ses estampes à partir de plans géométriques et de cercles (même si on ne le devinerait jamais en les voyant -on remarque simplement une connectivité entre des objets apparemment différents- un sentiment d'appartenance à un ensemble).
Dans la musique de Schmidt, la plus intégrée, il n'y a pas une mesure de la Symphonie n°4 qui ne soit liée au solo de trompette d'ouverture de cette partition, ou tiré de la pièce la plus ancienne proposée dans notre coffret : les extraits de la musique de l’opéra Notre-Dame. Tout le matériel thématique est basé sur la même phrase de base.
D'un point de vue formel, Schmidt essayait toujours de rassembler ses pièces en plusieurs mouvements en des formes singulières. Dans toutes ses symphonies, il existe des relations harmoniques entre les mouvements, souvent à un point tel que les deux derniers mouvements sont liés en un seul paysage musical (2e et 3e symphonies). Dans la Symphonie n°2 , Schmidt chevauche deux formes traditionnelles, en combinant une série de variations avec un scherzo et un trio qui forment les trois dernières variations (scherzo, trio puis à nouveau scherzo). Dans les extraits de Notre-Dame et la Symphonie n°4, Schmidt chevauche à nouveau plusieurs formes ; chaque pièce entière est une forme sonate unique, mais englobe d'autres formes. Les différents mouvements sont ainsi reliés les uns aux autres et chaque mouvement remplit une fonction différente au sein de la forme sonate unique.
Le développement de la forme chez Schmidt est directement lié à son intérêt pour le rapprochement de musiques ou de personnages apparemment différents, comme s'ils étaient taillés dans le même bloc de pierre -de la même manière qu'Italo Calvino ou Banana Yoshimoto combinent des histoires courtes apparemment distinctes en une seule entité dramatique.
Tout cela peut sembler assez technique, mais la réalité de ce que j'essaie de décrire est le fait que l'expérience de l'écoute de la musique de Schmidt consiste à se connecter à une imagination en dehors de nous-mêmes et à être emmené dans un voyage complètement intégré qui a le pouvoir de nous émouvoir de manière nuancée et complexe.
Cette remarque peut sembler un peu idiote, car elle soulève la question suivante : "Toute la musique n'est-elle pas bonne à écouter ?" Mais je pense que nous parlons, jugeons ou essayons souvent de prouver la qualité et la valeur de la musique en nous basant sur des facteurs extra musicaux.
Cependant, la musique de Schmidt communique tout à travers les notes qu'il choisit, les relations audibles entre elles, les rythmes avec lesquels il nuance ces relations et la façon dont il structure ces gestes dans le temps.
VIDEO