Stravinsky pour l’Orchestre National d’Espagne !  

par
David Afkham

David Afkham

Dans le cadre de sa série ‘Classics’, le Service culturel Migros reçoit l’Orchestre National d’Espagne qu’il n’avait plus accueilli depuis la saison 1984-85. Par contre, pour la première fois, il invite son chef titulaire, le jeune David Afkham, d’origine iranienne mais natif de Fribourg-en-Brisgau.

Faisant preuve d’une certaine logique, le programme est en grande partie dévolu à l’Espagne et débute par la Rhapsodie espagnole de Maurice Ravel : en une ondulation mystérieuse prend forme le ‘Prélude à la nuit’, pris à un tempo très lent pour détailler les timbres. Puis une percussion prédominante entraîne une ‘Malaguena’ souvent massive par son bariolage quand la ‘Habanera’ s’étiole sous une étouffante langueur. Et la ‘Feria’ exacerbe couleurs et rythmes pour atteindre un paroxysme endiablé. 
Les choses se gâtent ensuite avec Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla, faisant intervenir le pianiste sévillan Javier Perianes. Sur un canevas assombri par de capiteuses senteurs, le solo égrène d’abord quelques figures en arpèges limpides qui sont rapidement happées par des traits à l’arraché qui rendent le son mat et sans brillance. La ‘Danse lointaine’, extrêmement véloce, et le Finale accusent le manque de lyrisme d’un piano souvent anguleux face à un orchestre qui ne sait pas l’accompagner : preuve en est le bis du soliste, la célébrissime ‘Danse du feu’ de L’Amour sorcier aux phrasés davantage contrastés. Et Iberia, la deuxième des Images pour orchestre de Claude Debussy n’a guère meilleure fortune, à en juger par ce coloris touffu qui ne peut masquer les errances d’intonation et les carences d’une évocation qui rendent cette lecture quelque peu scolaire et sans intérêt.
Et c’est finalement dans le Stravinsky de l’Oiseau de feu que le chef et sa formation trouvent curieusement leur terrain d’élection : utilisant la Deuxième Suite datant de 1919, David Afkham ne réduit pas l’’Introduction’ au magma habituel mais la fait dessiner précisément par les cordes graves qui l’imprègnent d’une poésie de l’étrange. Par la clarté scintillante des registres aigus, la ‘Danse de l’Oiseau’ fascine tandis que le ‘Khorovod des princesses’ joue du rubato pour ouatiner le mélange des teintes. Sur de cinglants fortissimi surgit Katchei l’Immortel dont les soubresauts grotesques seront balayés par le basson chantant sa mélancolique ‘Berceuse’. Et c’est la translucidité des couleurs qui fera sourdre la progression d’un ‘Finale’ exubérant. En bis, un autre finale, celui du Tricorne, tonitruant sous ses cuivres qui noient sans vergogne toute la section des cordes. Donc, au contraire des derniers vers de L’Heure espagnole, «  avec… peu d’Espagne autour ! »
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 13 novembre 2017

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