Superbe hommage à Pierre Cochereau, puisé à un fonds d’inédits
Cochereau, Le Disque du Centenaire. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Aus tiefer Not schrei’ ich zu dir BWV 686. Pierre Cochereau (1924-1984) : Improvisation sur le noël « Laissez paître vos bêtes ». Suite rhapsodique sur « Ave Maris Stella ». Variations sur « Frères Jacques ». Entrée, Offertoire, Communion, Sortie de la Messe de 11h30 du dimanche 4 mars 1984. Pierre Cochereau, orgue de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Février 1970 à mars 1984 ; édition 2023. Livret en français et anglais. TT 75’58. FY Solstice SOCD 409
Comme le placarde son titre en lettres d’or, ce disque honore la mémoire de Pierre Cochereau qui aurait eu cent ans en 2024. La profuse et érudite notice de Michel Roubinet retrace en détail l’inépuisable discographie de l’organiste de Notre-Dame, initiée en 1954, peu avant sa nomination en janvier 1955 à la suite de Léonce de Saint-Martin. En 1975, après s’être ouvert aux micros de Vendôme, L’Oiseau Lyre, la Guilde Internationale, puis Philips, il décida de confier son art au label de François et Yvette Carbou. Label qui dès la disparition de l’organiste en 1984 commença à publier des échos de ce vaste et émérite legs.
Il a donc fallu écouter et réécouter d’innombrables heures d’archives pour concocter ce CD entièrement constitué d’inédits. Outre le liminaire choral de Bach, le programme se voue à l’imaginaire flamboyant de l’improvisateur, sans que la notice ne taise le débat autour de la légitimité d’une publication non consentie de ces créations de l’instant, à laquelle Cochereau se serait opposé si l’on en croit les propos de son fils Jean-Marc rapportés par Pierre Pincemaille. Une polémique à arbitrer entre ayant-droits et appels de la postérité, et à la lumière de brèches ouvertes par l’auteur lui-même. L’admirateur de cet héritage prendra en tout cas plaisir et intérêt à comparer ces exhumations avec d’autres enregistrements antérieurs ou consécutifs. Ainsi le BWV 686 déjà gravé en 1959, en 1960 (avec cuivres), en 1972 ; ici, en février 1970, c’est François Carbou (comparse depuis 1953 et fidèle preneur de son) qui fait résonner les chamades !
Les Variations sur « Frères Jacques » engrangées par Philips pourront se confronter à la mouture plus condensée mais non moins intense du 17 février 1972, captée en privé et en la présence de Jacques Duhamel, alors en charge des Affaires culturelles sous le mandat de Georges Pompidou. Une savoureuse invention inculquée à la célèbre mélodie de comptine, et une conclusion auréolée d’une magie que l’on retrouve aussi en paraphe de l’élaboration sur le noël « Laissez paître vos bêtes », thésaurisée en clôture du concert de la Messe de minuit du 24 décembre 1982 : un thème populaire que Cochereau illustra aussi en 1968 et 1974. À cette ferveur émanée des terroirs s’opposent les grandioses visions de la Suite rhapsodique sur l’hymne « Ave Maris Stella » qui ébranlent le vaisseau de la cathédrale. Le parcours se referme avec émotion sur une circonstance particulièrement emblématique, reflet de l’accompagnateur liturgique : les quatre interventions pour l’office méridien du 4 mars 1984, trente-six heures avant une fatale rupture d’anévrisme, mettant un cruel point d’arrêt à une carrière aussi couverte d’honneurs qu’épuisante (le livret précise que ce serait la 1037e sortie de messe enregistrée par l’organiste !).
Certaines sessions s’inscrivent dans une nef silencieuse (le concert ministériel), d’autres sur un gênant bruit de fond de l’assistance (cris d’enfants pour la messe de minuit), mais dans l’ensemble le fameux Cavaillé-Coll resplendit de toute sa puissance et ses mystères. Et le génie de l’improvisateur triomphe tout au long de cette heure magistrale. En attendant qu’Universal daigne valoriser dans les grandes largeurs les bandes L’Oiseau Lyre et Philips, et en espérant que FY Solstice remette sur le marché ses nombreuses parutions hélas devenues indisponibles, cet album s’avère un digne et captivant tribut à cette légende de l’orgue.
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 10 – Répertoire & Interprétation : 10