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« Le Nez » de Dmitri Shostakovich : du cauchemar à la réalité #MeToo

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 A La Monnaie, avec Le Nez de Dmitri Shostakovich mis en scène par Alex Ollé, le public se retrouve immergé dans le monde des rêves, dans un cauchemar plutôt, pour soudain, dans les dernières minutes de la représentation, être confronté au monde d’aujourd’hui -buildings, bureaux, hommes d’affaires, à la réalité #MeToo.

Le Nez est le premier opéra, en trois actes et dix tableaux, de Dmitri Shostakovich. Son livret est inspiré d’une des « Nouvelles de Pétersbourg » de Nicolaï Gogol. L’opéra est créé le 18 juin 1930 au Théâtre Maly de Léningrad. 

Son « héros », Kovalyov, se réveille un matin… sans son nez ! Horreur ! Il se met donc à sa recherche, ce qui lui vaut toutes sortes de rencontres, toutes sortes de mésaventures. Chez Gogol, la nouvelle était le prétexte à une satire de la société pétersbourgeoise de l’époque tsariste. Kovalyov considère la perte de son nez comme une débâcle sociale ; celui-ci, en toute autonomie, se donne vite à lui-même un beau rôle public ; quant aux personnes rencontrées, elles sont typiques d’un univers aussi ridicule et violent que corrompu. Mais cet opéra est composé et créé à la fin des années 1920… et la satire apparaît vite comme destinée à dénoncer le nouveau système qui s’est mis en place… le système soviétique de plus en plus incarné par le Petit Père des Peuples, par Staline. On comprend donc que l’œuvre ne connaît que seize représentations à l’époque et ne sera plus jouée en Union Soviétique avant 1974.

Alex Ollé met en scène ce Nez. Kovalyov rêve la perte de son nez, vit un cauchemar. Ce que le public découvre sur le plateau, c’est effectivement un univers de cauchemar. Dans une scénographie et une caractérisation des personnages très Ollé Ollé (!). 

Ombres et lumières dans Pelléas et Mélisande au Liceu

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Debussy prétendait trouver un nouveau chemin à l'opéra. Pris en étau entre le style du vérisme et ses drames de cape et épée, qui tranchaient avec les émotions provoquées par les injustices et misères de ce bas-monde, et le wagnérisme avec son exaltation brumeuse des légendes alémaniques (si souvent inspirées de Chrétien de Troyes...), il n'a écrit que ce seul ouvrage, rejetant tous ses précédents essais opératiques. Il lui a consacré dix ans, retravaillant sans cesse à simplifier le propos et à polir son langage et a tenu de longs échanges avec Maeterlinck à propos du livret, presque entièrement extrait de la pièce de théâtre avec diverses coupures. Leur brouille à propos du choix de la Mélisande mettra fin à leur relation... Dans sa correspondance avec Ernest Guiraud, qui fut son professeur au Conservatoire de Paris, il déclare qu’ il souhaite suivre le poète qui « disant les choses à demi, permettra de greffer mon rêve sur le sien; qui concevra des personnages dont l’histoire et la demeure ne seront d’aucun temps, d’aucun lieu… » ... « Je rêve de poèmes qui ne me condamnent pas à perpétrer des actes longs, pesants ; qui me fournissent des scènes mobiles, diverses par les lieux et le caractère ; où les personnages ne discutent pas, mais subissent la vie et le sort ». Cent vingt ans après sa création, Pelléas reste un indiscutable chef d'œuvre de la musique. Et, malgré les diatribes anti-wagnériennes qu'il prodiguait (comme le fameux Golliwoog's Cake Walk parodiant le thème germinal de Tristan et Yseult...) le rapprochement avec le drame wagnérien est omniprésent, autant dans l'histoire du triangle amoureux que dans la musique. Mais considérer son empreinte comme ouvrage dramatique nous mène tout droit à un chemin d'ombres et de lumières. Ombres car le texte, pour le spectateur actuel, oscille entre le niais des propos décousus des amants non avoués, (mais droit dans la lignée du non-dit freudien) et le stupéfiant, comme la terrible sentence d'Arkel : « Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des hommes »

Mark Grey, Frankenstein d’hier à aujourd’hui

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Le compositeur Mark Grey est à l’affiche de La Monnaie avec la première mondiale de son Frankenstein, une production des plus attendues. Il revient, pour Crescendo Magazine, sur ce projet. Rencontre avec l’un des compositeurs majeurs de notre époque.  

Votre opéra Frankenstein est donné en création mondiale sur la scène de la Monnaie ; pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet?

J'avais lu le roman quand j'étais au lycée, probablement vers l'âge de 16 ans. Comme pour la plupart d'entre nous, la découverture du personnage de Frankenstein et de l’auteure Mary Shelley a commencé beaucoup plus tôt dans la vie. Nous étions exposés à tous les stéréotypes de la créature dans des dessins animés ou à l’utilisation du mot «Frankenstein» dans la vie quotidienne. Il y a également eu ma découverture des images du film de 1931 avec Boris Karloff dans le rôle de la “créature”. Je me souviens avoir vu le film de 1931 au milieu des années 1970 (probablement vers l’âge de huit ans) lors de la série télévisée Creature Feature diffusée aux États-Unis.

La Monnaie m'a contacté car ils étaient déjà en discussion avec Àlex Ollé (de La Fura dels Baus), notre metteur en scène. Alex désirait présenter cette œuvre depuis plus de dix ans, mais il est très difficile d’adapter des romans pour le théâtre lyrique. La Monnaie (et Àlex) ont estimé que la musique devrait être écrite par un compositeur anglophone, car le langage de Shelley est très subtil et nuancé, de même que de nombreuses références historiques et littéraires comme les Métamorphoses d’Ovide, le Paradis perdu de John Milton, la Complainte du Vieux marin de Samuel Coleridge-Taylor, et la liste est encore longue. Júlia Canosa i Serra, notre librettiste, a rejoint l'équipe alors que la production s’est ainsi étoffée.

A Lausanne, un SOLDAT qui vous déconcerte

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« Entre Denges et Denezy, un soldat qui rentre au pays… A marché, a beaucoup marché… » : ce sont les mots que proclamait Elie Gagnebin sur la scène du Théâtre Municipal de Lausanne lors de la création de L’Histoire du Soldat, le 28 septembre 1918 ; la partition d’Igor Stravinsky était dirigée par Ernest Ansermet et était présentée dans une mise en scène de Georges et Ludmilla Pitoëff et des décors et costumes dus au peintre René Auberjonois. Cent ans plus tard, jour pour jour, en ce lieu même, l’événement est commémoré par sept instrumentistes guidés par François Sochard, le violon solo de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et par une production d’Alex Ollé (de la Compagnie La Fura del Baus) dans des décors et costumes de Lluc Castells.