Mots-clé : Apolline Jesupret

Lueurs éclaire le chemin

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Lueurs. Apolline Jesupret (1995-) ; Claude Ledoux (1960-) ; Jacques Brel (1929-1978). Musiques Nouvelles ; Ensemble Hopper ; Sonia Lardy, Apolline Jesupret. 54’08" – 2024 – Livret : français et anglais. Cypres. CYP4663. 

Belgian Music Days 2024 : le point sur la création belge

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Biennale de la musique belge rassemblant les musiciens des trois régions (et trois communautés, et dix provinces, et cinq cent quatre-vingt-une communes) dans une vitrine de la création des musiques enseignées dans les conservatoires, les Belgian Music Days, après Louvain, Mons et Eupen, sont cette année hébergés à Bruxelles, dans les salles de Bozar et du Conservatoire royal de Bruxelles. Alors que la ville bruisse des conversations sur les fusillades à répétition qui embrouillent le quartier de la Porte de Halle, ces cinq jours culminent avec le concert du Belgian National Orchestra le soir du jeudi, dans la salle Henry Le Bœuf où l’ensemble, sous la direction de Jac van Steen et avec le concours du Chœur de l’Institut supérieur de musique et de pédagogie de Namur, s’attaque à un programme qui mêle les origines, les esthétiques et les générations –c’est, par essence, un signe distinctif des BMD.

Jeudi, c’est apogée

Je découvre (on a toujours à apprendre) le compositeur flamand Wim Henderickx (1962-2022), disparu brutalement il y a peu dans sa soixantième année, avec une des trois créations de la soirée : outre son intérêt pour la sonologie qu’il assouvit à l’Ircam, il fréquente les conservatoires d’Anvers et de La Haye et intègre volontiers dans son travail des éléments de musique et philosophie orientales : dans La Visioni di Paura, aux origines à chercher dans Inferno, un tableau (partie d’une série de quatre) de Jérôme Bosch, peintre, au pinceau à la satire morale, d’un enfer qui se donne des airs de paradis, le compositeur fait entendre, nourri des bombes de la guerre du Golfe, qui débute alors qu’il écrit sa pièce, ses visions (poétiques) de la peur, dans des poussées sonores parfois agressives et d’une énergie cinglante.

Sa musique est prenante, sa personnalité est touchante ; c’est l’émotion qui la guide (et elle le lui rend bien), même si la raison ordonne et structure une trajectoire (celle de son court mais déjà dense parcours, et celle de ses pièces) où Apolline Jesupret (1996-) s’efforce de prendre les choses, les bonnes, les douloureuses, comme elles surgissent et quand elles surviennent. Alors que sort une première monographie chez Cypres, c’est Bleue, sa première partition pour grand effectif que l’orchestre crée ce soir : bleue comme l’eau, bleue comme l’air humide (comme des vapeurs de sel), aux textures fluides, charmeuses, qu’on voit venir sans les sentir passer, qui vous effleurent et font songer, striées de scintillements de sons -comme les poissons lancent la lumière de leurs écailles-, et bleue comme le rouleau du surfeur qui s’y engouffre –quand les notes, d’abord déviantes, se heurtent de front, avec l’entêtement brutal de l’obstiné, contre le mur- et puis, cette fin-surprise, en tire-bouchon, en queue de scorpion.

Au-delà de la nuit, au-delà des frontières

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Par certains éléments structuraux (la mezzanine, le fer forgé), le Grand Salon du Botanique me replonge dans le décor du Museum d’Histoire Naturelle, où le k l a n g collective mettait un point final à l’édition 2022 du Walden Festival. Ce soir, c’est complet et en soi c’est déjà un beau résultat pour les Nuits Botanique, 30e édition que clôture un 3+1 (3 créations, 1 variation) contemporain, là où on trouve bien plus souvent, dans ce festival éclectique qui en inaugure la saison (des festivals), rock, musiques electronique ou expérimentale, r&b, chanson, hip hop ou pop -une culture du jeté de ponts entre les genres, comme une manie de déranger méthodiquement le tiroir à chaussettes, trop ordinaire si rangé par couleurs, ou par pointures.

Et de la (hip-)pop, c’est ce dont se nourrit la Mulitude Variation qui ouvre le programme, née de l’expérience d’arrangeur de Bruno Letort sur l’album de Stromae (un travail de production sonore qui exige « la même précision chirurgicale qu’en musique contemporaine »), variations sur La sollasitude, ce morceau, au refrain crispant et touchant à la fois (« le célibat me fait souffrir de solitude, la vie de couple me fait souffrir de lassitude »), parmi les six sur lesquels l’orchestrateur a posé sa patte : une image déformée de l’idée d’un autre, qui s’y retrouve mais plus tout à fait, colonne vertébrale concurrencée sur son fondement, menacée même dans sa polyrythmie par l’appropriation altérée, comme au travers d’un miroir courbe -comme on tord, en médecine, une image radiographique afin de mettre en évidence des détails autrement difficiles à percevoir.

L’idée des variations vient du Bota, comme les commandes des trois concertos, confiées à trois autres flamboyances de la scène comtemporaine belge francophone -Bruno Letort s’est importé de Paris, mais dix ans d’acclimatation en ont arrondi les us et accents (jusqu’à son look Inspecteur Columbo de ce soir)-, des éclats au tempérament spécifique, irridescent pour Jean-Luc Fafchamps, l’homme de la « woman qui est là » (deuxième et dernier épisode en date de l’irréel opéra qui en compte trois), impérial pour Jean-Paul Dessy, ce soir au four et au moulin puisqu’il tient la baguette devant les cordes de Musiques Nouvelles, rigoureuse et réservée pour Apolline Jesupret -une génération après celle des trois autres, mais une maturité d’écriture qui déconcerte chaque fois que je l’entends. Et c’est encore le cas pour Ardeurs intimes (un oxymore qui m’autorise celui de la flamboyance réservée), concerto pour violon (la jeune Maya Levy, au jeu saillant et à la posture altière) et orchestre à cordes, qui séduit par la promptitude avec laquelle sa musique convoque le profond du ressenti -ici celui, personnel et intérieur, contrasté par les trois mouvements de la pièce, de l’amour, par lequel on vibre, on contemple, on pulse.