Avec son côté de conte moral et magique, le livret d’Emmanuel Schikaneder, auquel a peut-être collaboré Mozart, peut se prêter à toutes sortes de lectures, c’est ce qu’a si bien compris le metteur en scène Mathieu Bauer pour cette production très réjouissante de la Flûte enchantée (Die Zauberflöte) présentée par Angers Nantes Opéra. Très influencé par le cinéma américain, il nous propose une scénographie assez hollywoodienne, à mi chemin entre le cirque et la comédie musicale, dans une ambiance que ni Orson Welles, Stanley Donen ou Woody Allen n’aurait reniée.
Loin de s’éloigner de Mozart et de son librettiste, la mise en scène de Mathieu Bauer rejoint parfaitement au contraire l’esprit d’une oeuvre utopiste présentée comme un conte pour petits et grands, avec une musique sublime décrivant la variété infinie des comportements et des sentiments humains. Son travail n’est pas une transposition puisque les personnages, les situations, les lieux et l’époque sont universels et intemporels. Dès lors, l’ambiance de fête foraine peut tout suggérer entre le rêve et la réalité.
Si les allusions racistes du livret, notamment celles du personnage trouble de Monostatos ont été effacées, les réflexions assez misogynes sont bien là, dénonçant le machisme ordinaire des conversations de bistrot. L’esprit maçonnique qui sous-tend tout l’opéra est très habilement représenté par cette confrérie dirigée par un Sarastro dont on ne sait s’il est le chef d’une compagnie de pompiers ou de sécurité interne dans cet improbable Luna Park situé dans notre mémoire quelque part entre Coney Island et Vienne, à moins qu’il s’agisse d’un service de nettoyage particulièrement soucieux de paix et d’humanité.
Ce concert risque malheureusement de rester dans les mémoires davantage comme étant le premier que François-Xavier Roth aura été contraint de renoncer à diriger, par suite de l’article « Un chef d'orchestre qui mène son monde à la braguette » paru le matin même dans Le Canard Enchaîné, que pour son contenu musical propre, pourtant réel.
Qui n’aurait pas su tout cela ne l’aurait sans doute pas soupçonné lors de ce concert. Les Siècles ont été fondés en 2003. Les musiciens, inévitablement bouleversés (ne serait-ce que parce que cela fragilise grandement leur avenir professionnel), étaient souriants, particulièrement avenants vis-à-vis d’Adrien Perruchon (qui malgré une brillante carrière ne fait pourtant pas toujours l’unanimité auprès des instrumentistes qu’il dirige). Sans doute lui étaient-ils reconnaissants d’avoir pu assurer ainsi, au pied levé, la direction de ce concert, sans en changer le programme, et surtout en donnant une impression d’aisance remarquable étant donné le contexte. Et, en effet, il faut saluer cette performance.
Ravel et L'Espagne, donc. L’idée est on ne peut plus pertinente, quand on sait à quel point ce pays a influencé le compositeur. À vrai dire, il faudrait plutôt parler de l’idée qu’il s’en faisait, à travers, notamment, les très nombreux musiciens espagnols qui venaient en France à cette époque. Car Ravel n’est allé en Espagne qu’à l’approche de la cinquantaine, bien après avoir écrit presque toutes les œuvres de ce concert (à l’exception du Bolero).
La première partie, purement instrumentale, commençait par Alborada del Gracioso. Les cordes, très présentes, donnent une sonorité un peu massive à la pièce. Malgré la plus extrême liberté laissé au basson dans ses solos, cette « Aubade du bouffon » a un peu de mal à décoller.
L’audace de l’Heure espagnole étonne encore aujourd’hui, surtout lorsqu’elle est représentée avec clarté et sincérité comme c’est le cas à l’Opéra Comique en deuxième partie de soirée.
A l’époque de la composition, Ravel résumait ainsi l’intrigue : « la femme de l’horloger Torquemada à Tolède attend un amant qui est bachelier (étudiant), et finalement, je vous dis cela rapidement, se donne à un muletier ».
Le sujet et tout le sujet : comment satisfaire le désir féminin.
Incidemment, relevons que l’ensemble de cette comédie en musique y compris les considérations du muletier sur la nature féminine réduisent à néant le soit-disant « mystère Ravel ».
Quant à la musique, mélange d’opéra bouffe italien, blagues, jeux de mots familiers du « Chat noir » fondus dans un humour sonore d’une invention et d’un raffinement inégalés, elle jette ici tous ses feux. L’interprétation ciselée, jamais appuyée « propose et n’impose jamais » comme le veut la règle baroque. Chaque auditeur disposant ainsi de la liberté se placer à la hauteur de compréhension qui lui convient.
D’autant plus naturellement que le sous-titrage pimente les situations sans que la diction des chanteurs les rende indispensables.
Dans un décor de tour-escalier stylisé (Sylvie Olivé), seules deux horloges s’encastrent à droite et à gauche. Le cliquetis des automates et mécanismes égare d’emblée le public qui ne les voit pas sur scène. Le ton est donné.
Parmi les sombres costumes masculins « années 20 », la robe rose de Concepción (la bien nommée !) virevolte et frémit à ravir.
Pierre Henry (1927-2017) : La Dixième Symphonie (Hommage à Beethoven). Benoît Rameau, ténor – Orchestre Philharmonique de Radio France – Orchestre du Conservatoire de Paris – Chœur de Radio France – Le Jeune Chœur de Paris – Richard Wilberforce, chef de chœur – Pascal Rophé, Bruno Mantovani et Marzena Diakun, direction. 2020. 74’08. Livret en français et en anglais. 1 CD Alpha 630.