À Angers Nantes Opéra, une Flûte enchantée à Luna Park
Avec son côté de conte moral et magique, le livret d’Emmanuel Schikaneder, auquel a peut-être collaboré Mozart, peut se prêter à toutes sortes de lectures, c’est ce qu’a si bien compris le metteur en scène Mathieu Bauer pour cette production très réjouissante de la Flûte enchantée (Die Zauberflöte) présentée par Angers Nantes Opéra. Très influencé par le cinéma américain, il nous propose une scénographie assez hollywoodienne, à mi chemin entre le cirque et la comédie musicale, dans une ambiance que ni Orson Welles, Stanley Donen ou Woody Allen n’aurait reniée.
Loin de s’éloigner de Mozart et de son librettiste, la mise en scène de Mathieu Bauer rejoint parfaitement au contraire l’esprit d’une oeuvre utopiste présentée comme un conte pour petits et grands, avec une musique sublime décrivant la variété infinie des comportements et des sentiments humains. Son travail n’est pas une transposition puisque les personnages, les situations, les lieux et l’époque sont universels et intemporels. Dès lors, l’ambiance de fête foraine peut tout suggérer entre le rêve et la réalité.
Si les allusions racistes du livret, notamment celles du personnage trouble de Monostatos ont été effacées, les réflexions assez misogynes sont bien là, dénonçant le machisme ordinaire des conversations de bistrot. L’esprit maçonnique qui sous-tend tout l’opéra est très habilement représenté par cette confrérie dirigée par un Sarastro dont on ne sait s’il est le chef d’une compagnie de pompiers ou de sécurité interne dans cet improbable Luna Park situé dans notre mémoire quelque part entre Coney Island et Vienne, à moins qu’il s’agisse d’un service de nettoyage particulièrement soucieux de paix et d’humanité.
Au-delà des gags, des situations comiques, des décors de train fantôme et des costumes excentriques et délicieusement chamarrés, ce spectacle magnifique garde toute la poésie du merveilleux et l’aspect philosophique voulus par les deux auteurs. N’ayons garde d’oublier le travail de William Lambert aux lumières et de Florent Fouquet pour une utilisation judicieuse de la vidéo.
La musique n’est pas en reste dans cette production avec des chanteurs faisant troupe comme au temps de Schikaneder dans les faubourgs de Vienne. Issue de la Haute École de Musique de Genève où il a travaillé avec Gilles Cachemaille, la basse française Nathanaël Tavernier campe un Sarastro qui mène la danse du début à la fin. Monsieur Loyal en prélude du spectacle, il suit et mène l’action d’une manière amusée à la façon d’un Don Alfonso fin connaisseur des pulsions et des contradictions humaines. Le ténor Maximilien Mayer, un des seuls germanophones de cette production, est un Tamino au timbre radieux et idéalement mozartien. Elsa Benoît incarne une Pamina pleine de noblesse. La soprano colorature Lila Dufy triomphe aisément des pièges semés par Mozart dans les deux périlleux airs de la Reine de la nuit tout droits sortis de l’opera seria italien du XVIIIe siècle. Loin de la caricature habituelle voulue par un rôle ingrat, le Monostatos de Benoît Rameau est plus à plaindre qu’à blâmer. L’irrésistible Papageno, avec ses petites lâchetés et son manque de courage dont beaucoup d’entre nous, à commencer par Mozart, peuvent s’identifier, reçoit toujours la sympathie du public. Il faut dire que l’Australien Damien Pass n’a aucune peine à mettre le public dans sa poche grâce à son sens de la comédie alliée à une voix à l’avenant. Il forme un duo délicieusement complice avec la Papagena d’Amandine Ammirati. Les trois dames, les trois enfants et les deux prêtres complètent cette distribution d’une manière très homogène.
Dans la fosse, l’Orchestre National de Bretagne répond brillamment à la direction très enlevée et théâtrale de son chef titulaire, le jeune Canadien Nicolas Ellis qui fut l’assistant de Valery Gergiev à Verbier et celui de Raphaël Pichon et de Yannick Nézet-Séguin. On sort de cette soirée dans une humeur joyeuse avec la conviction que l’opéra n’est pas une vieille machine pour vieux… initiés (!), mais qu’il peut au contraire témoigner d’une actualité brûlante pour autant qu’on sache en exalter tout le message.
La dernière représentation du 18 juin sera présentée gratuitement dans le cadre de l’opération annuelle « Opéra sur écrans » projetée en direct sur écran géant à Rennes, Nantes et Angers et diffusée dans 85 salles de cinéma de France et d’Allemagne avant une diffusion ultérieure sur FR 3.
Angers – Grand-Théâtre, le 16 juin 2025
François Hudry
Crédits photographiques : Laurent Guizard