Mots-clé : Daniel Okulitch

Les jeux de l'amour et du pouvoir au Liceu “Lessons in love and violence” de Georges Benjamin

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Le Liceu maintient son cap à travers les difficultés que le monde culturel connaît, et met en scène la co-production, avec les opéras d' Amsterdam, Hambourg, Chicago, Lyon et Madrid, du nouvel opéra de Georges Benjamin créé à Londres en 2018. Le succès de ce compositeur va bien au-delà du « bien mérité » : il est un acteur incontournable de la musique actuelle et a fortiori de l'opéra. C'est le troisième élément de sa trilogie avec le librettiste Martin Crimp après Into the Little Hill et Written on Skin. Ici, le livret est extrait d'une pièce de Christopher Marlowe, le « rival » de Shakespeare. Katie Mitchell en signe une mise en scène qui déplace l'histoire du Roi Edward II de Caernarfon du XIVe siècle à l'actualité, dans un décor qui pourrait évoquer celui de n'importe quel gouvernant aimant à l'obsession le luxe et les œuvres d'art. Et qui oublie de ce fait ses obligations envers ses gouvernés, n'écoutant que sa propre passion amoureuse pour son favori et conseiller Piers Gaveston. Ce qui le mènera à une issue dramatique pour son pouvoir et celui de sa famille. Sur scène, on pourrait presque parler d'un opéra de chambre, avec un plateau assez réduit. Par contre, l'orchestre est tellement élargi qu’il doit occuper, pour des raisons sanitaires, une partie du parterre, devenant ainsi presque le protagoniste central. Si l'écriture vocale de Benjamin est très éloquente et traduit admirablement la palette des états d'âme des personnages, il faut bien avouer que son travail d'orchestration est somptueux : à chaque tableau il nous donne des nouveaux frissons et nous transporte dans des paysages sonores bien différenciés, ayant parfois recours à des instruments inhabituels comme le cymbalum. Mérite aussi du directeur musical, Josep Pons, titulaire de la maison, dont le geste sobre et le calme olympien face aux difficultés de l'écriture réussissent à extraire tellement de couleurs et d'éléments sonores de l'œuvre que, à la fin du spectacle, la première réaction est l'envie de la réécouter et de la revoir dès que possible. Et l'intelligibilité du texte ne se trouve jamais compromise ni par les musiciens ni par l'orchestration, extrêmement subtile.

Le travail de Katie Mitchel, détaillé et rythmique, nous invite à réfléchir sur les jeux perfides du pouvoir et combien toute notion de morale ou loyauté devient presque incompatibles. La précision dans les mouvements, presque chorégraphiés, nous tient en haleine tout au long de la pièce. Le malaise qu'elle provoque en nous devient indescriptible lorsqu'elle a recours à la présence des enfants du Roi, aussi bien pendant les ébats avec Gaveston qu'au milieu des sordides trames ourdies par Mortimer pour accroître son pouvoir, se servant de la trahison dont la Reine est victime. Et, pour comble, les enfants assistent également à la décapitation de Gaveston, en guise de leçon pour le nouveau Roi, qui ordonnera à son tour l'exécution de Mortimer... Tout un programme !