Interviews
La violoniste Fanny Clamagirand fait paraître chez Naxos un album consacré aux concertos pour violon de la compositrice américaine Florence Price. Ce nouvel album est un jalon important dans la redécouverte de l’art de cette compositrice. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette artistique qui construit une discographie rare et exigeante
Comment avez-vous découvert la musique de Florence Price, et en particulier ces deux concertos pour violon ?
J’ai découvert la musique de Florence Price, lorsque Naxos m’a proposé d’enregistrer ce disque consacré à son œuvre et comprenant notamment ses deux concertos pour violon et orchestre.
Cette proposition, faite d’ailleurs très peu de temps avant les sessions d’enregistrement, a été pour moi un vrai challenge et l’occasion d’une découverte enthousiasmante, une plongée dans la vie et l’univers de Florence Price, compositrice afro-américaine, figure majeure de la « Chicago Black Renaissance », et dont de nombreuses œuvres n’ont été (re)découvertes qu’après sa mort en 1953.
Qu’est-ce qui vous a motivé à les enregistrer ?
Il est pour moi important, en tant qu’interprète, de contribuer aussi au rayonnement d'œuvres oubliées, de porter et faire découvrir des voix méconnues, ici donc celle de Florence Price, qui est encore peu jouée en Europe. La curiosité et l’ouverture à de nouveaux répertoires font partie intégrante de mon engagement artistique.
Comment s’est passée la collaboration avec l’orchestre de Malmö qui devait également découvrir cette musique?
L’enregistrement avec l’Orchestre de Malmö et le chef américain John Jeter a été une aventure artistique et humaine intense. John Jeter, connaissant déjà bien l’univers de Price pour avoir enregistré une partie de ses œuvres symphoniques, a été un guide précieux dans l’approche esthétique et stylistique de cette musique.
Cela a été un immense plaisir de travailler avec des artistes engagés et passionnés, à l’écoute et partageant la même envie de redonner vie à un répertoire oublié et de rendre hommage à une femme au destin singulier.
Quelles sont les caractéristiques stylistiques de ces deux partitions ? Comment s’intègrent-t-elles dans leur temps ?
La musique de Florence Price est très belle, facile à écouter, d’inspiration romantique, avec une forte influence des traditions européennes, mais aussi une identité propre, marquée par des éléments issus du jazz et du blues, reflet de ses racines afro-américaines.
Le premier concerto, écrit en 1939, de forme classique, rappelle sans hésitation le Concerto pour vionon de Tchaïkovski, tandis que le second, composé en 1952, un an avant la mort de Price, est d’un seul souffle et adopte un caractère plus rhapsodique et personnel. Dans les deux œuvres, l’écriture violonistique est toujours très expressive et virtuose, en dialogue permanent avec l’orchestre et mise en valeur par un tissu instrumental riche et coloré.
La cheffe d'orchestre Elena Schwarz fait paraître un album consacré à des oeuvres de la compositrice Elsa Barraine avec le WDR Sinfonieorchester (CPO), une étape majeure dans la redécouverte de cette musicienne. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec Elena Schwarz, pour parler de cet enregistrement mais aussi de sa passion de la musique contemporaine puisqu’elle est également cheffe est résidence à l’ensemble Klangforum Wien.
Comment avez-vous découvert ces œuvres de Elsa Barraine ? Qu’est-ce qui vous a motivé à les enregistrer ?
C’est Sebastian Koenig, directeur artistique de l’orchestre de la WDR, qui est venu vers moi avec un projet de disque autour de compositrices. Il a évoqué plusieurs noms, dont celui d’Elsa Barraine, que je connaissais vaguement. Cette impulsion m’a donné l’occasion de me plonger plus sérieusement dans son œuvre : j’ai écouté les quelques enregistrements existants, j’ai lu sur sa vie, sur son parcours… et j’en suis sortie absolument fascinée. Rapidement, l’envie d’enregistrer sa musique s’est imposée comme une évidence: pour la faire entendre, mais aussi pour la replacer à la hauteur de ce qu’elle représente dans l’histoire musicale du XXe siècle.
Quelles sont les caractéristiques musicales de ces partitions ? Comment s'intègrent-elle dans leur époque ?
C’est une musique très personnelle, cosmopolite. Barraine a été étudiante de Paul Dukas au Conservatoire de Paris; très jeune elle a gagné le prix de Rome et a séjourné dans la capitale italienne. Sa biographie est marquée par un engagement politique courageux, en tant que résistante pendant la deuxième guerre mondiale et en tant que militante communiste. Ces aspects trouvent un écho dans sa musique, où on entend des influences tantôt d’un Hindemith ou Honegger, tantôt d’un Stravinsky; j’entends aussi des mélodies qui font songer au klezmer, en résonance avec sa culture juive. Avec cette capacité parfois déroutante de changer de caractère d’un moment à l’autre avec des “coupures” presque cinématographiques.
Actuellement, il y a un regain d'intérêt pour les compositrices. Est-ce que vous pensez que les partitions d’ Elsa Barraine ont des atouts pour s'imposer comme de futurs classiques des salles de concerts ?
Dans un premier temps, ce sont en tout cas des œuvres qui méritent d’être largement entendues!Vous remarquez le regain d’intérêt envers les compositrices du passé, c’est en effet un développement très positif. Il y a tant de bonne musique qui reste encore à être découverte et je suis convaincue que le public peut se révéler sensible à cette démarche et à l’émotion de découvrir des œuvres qui n’ont parfois jamais été jouées. C’est le cas de Pogromes de Barraine dans le disque de la WDR, pièce dont j’ai retrouvé la trace à la BNF à Paris. La formidable équipe des archives de la radio de Cologne, en collaboration avec la compositrice et chercheuse Magdalena Buchwald, ont préparé la partition et les parties d’orchestre à partir des brouillons trouvés à Paris en vue de l’enregistrement.
Dans cet enregistrement, l’orchestre symphonique de la WDR de Cologne, que vous dirigez, sonne admirablement avec une très belle clarté des timbres. Comment l’orchestre a-t-il réagi à cette musique qu’il devait découvrir à cette occasion ?
L’orchestre a accueilli cette musique avec beaucoup de curiosité et d’ouverture. Ce sont des musiciens très flexibles, et je crois qu’ils ont été sincèrement surpris par la richesse et l’intensité de ces œuvres. Nous avons travaillé sur la transparence des textures, sur la respiration des phrasés, pour que cette musique parle d’elle-même, sans surcharge.
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