Biber, lecture châtiée des douze Sonatae « tant pour la table que l’autel »

par

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Sonatae Tam Aris, quam Aulis servientes. Harmonie Universelle. Florian Deuter, Mónica Waisman, violon. Wolfgang von Kessinger, Christian Goosses, Aino Hildebrandt, alto. Linda Mantcheva, violoncelle. Dane Roberts, violone. Christoph Sommer, théorbe. James Johnstone, orgue. Hans-Martin Rux-Brachtendorf, Astrid Brachtendorf, trompette. Livret en anglais, français, allemand. Juin 2021. 77’11. Accent ACC 24386

« Tam Aris, quam Aulis » : avec ce titre latin féru d’assonance, Biber manifestait la vocation de son entreprise, dédiée au Prince-archevêque de Salzbourg, Max Gandolph. Un recueil à la fois sérieux et divertissant, tant pour l’autel que pour la tablée, propice au sacré et au profane : pour servir d’interlude au culte ou d’intermède au banquet. La nomenclature, que l’on entend en plein effectif dans la première et la dernière sonates, inclut la trompette (une ou deux) dans cinq des douze pièces.

Le disque invite aussi les duos de trompette consignés dans le manuscrit recopié en 1900 (pages 152 et suivantes dans l’édition d’Erich Schenk), distribué en exergue ou par lots au sein du programme. Autour du Clemencic Consort (Oehms, mai 2004), Andreas Lackner et Herbert Walser doraient une lecture particulièrement savoureuse de sept de ces Abblasestücke. La prestation plutôt bien réglée de Hans-Martin Rux-Brachtendorf et Astrid Brachtendorf s’avère ici moins ostentatoire -le brio s’efface au profit d’une fine musicalité qui s’intègre bien au duvet de cordes exploité par les sonates environnantes.

Pour l’intégrale des Sonatæ de 1676, le Rare Fruits Council de Manfredo Kraemer (Astrée, août 1997) avançait un continuo avec harpe et théorbe. Plus étoffé, le Parley of Instruments (Hyperion mai 1983) enrôlait contrebasse en doublure, une combinaison de cordes pincées dont virginal, et même timbales pour les deux sonates a otto. À l’instar de l’enregistrement du Fidicinium Sacro-Profanum (Accent, septembre 2018), l’équipe d’Harmonie Universelle a retenu un hôte de marque pour animer le continuo : un orgue de tribune, alors joué par Francesco Corti, et ici par James Johnstone, un des grands organistes d’Outre-Manche. En l’occurrence, celui de l’ancienne église (Praemonstratenserklosterkirche St. Leodegar) du couvent de Niederehe (Rhénanie-Palatinat) construit vers 1714 par Balthasar König, un des premiers instruments de ce facteur, rénové il y a vingt-cinq ans. Les trois jeux indépendants au pédalier (précédemment en tirasse), ajoutés en 1868, furent conservés par la restauration. On peut entendre cet orgue en solo dans l’album Les Dois parlans enregistré par Gerd Zacher (Aeolus, 2000), et apprécier sa facture à bien des égards typique de l’Allemagne du Sud, et donc tout à fait adaptée au répertoire ici abordé.

D’une élocution fort précise, le blasonnement du Rare Fruits Council se montrait nettement dessiné et structuré, directement signifiant, au prix de saillies anguleuses. Non moins reluisants, les archets d’Harmonie Universelle, menés par Florian Deuter et Mónica Waisman, instillent une vie frémissante (Sonata XI) : une délicate irrigation, qui exploite chaque sonate comme un tissu élégamment moiré. La découpe séquentielle de ces sonates réclame certes qu’on accuse le contraste entre les phases d’exaltation et les accalmies, qu’on empoigne fermement l’élan des danses, puis qu’on prenne la pose quand se suspend le mouvement. La présente interprétation semblerait parfois manquer d’autorité : chercherait-elle la cohésion enfouie derrière les revirements d’humeur, l’unité dans la diversité, comme pour questionner la trame qui fait chatoyer tous ces fils ? Ce que ces douze vignettes peuvent présenter d’épidermique voire d’exubérant s’en trouve un peu assagi et homogénéisé, comme pour s’attacher à leur substance plutôt qu’à leur flagrante vitalité et à l’exactitude du dessin. D’une propension plus spirituelle qu’épulaire, plus intériorisée que festive, un style châtié émane de cette approche. Une intégrale qui relève davantage de l’atelier du bénédictin que du laboratoire de l’apprenti-sorcier -plus proche du bénitier que du rince-doigts, en quelque sorte. 

Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

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