Mots-clé : Ilse Eerens

Avec le temps va tout s’en va « Der Rosenkavalier » de Richard Strauss  

par

« Avec le temps va tout s’en va » : ces mots d’une chanson de Léo Ferré disent si bien la réalité du Rosenkavalier de Richard Strauss, à condition qu’on les conjugue avec une réplique d’une des personnages : « C’est une mascarade viennoise » ! Cet opéra est une merveille de conception, une merveille de partition. La direction d’Alain Altinoglu, la mise en scène de Damiano Michieletto et ses interprètes le servent au mieux.

Le temps s’en va et nous emporte, irrémédiablement. Tel est le constat que fait la Maréchale. Une femme d’élégance, de joie, de bonheurs multiples, de soif de vivre, mais qui, un matin, prend soudain conscience de cette irréversibilité-là et de tout ce qui, désormais, ne lui appartiendra plus. Elle a compris que son jeune amant, Octavian, finira par la quitter pour une autre « plus jeune et plus belle » : la jeune et belle Sophie. Cette prise de conscience nous vaut des moments musicaux et vocaux admirables. Quelle tristesse, quelle nostalgie déjà dans la voix de celle qui chante, et comme l’orchestre et quelques instruments solistes en multiplient les échos. Personnellement, c’est pour moi, loin des grandes détresses exacerbées du répertoire lyrique, une page qui m’émeut chaque fois.

Mais mascarade il y a aussi ! Et c’est d’ailleurs la force de cette œuvre que de rester légère dans l’émotion grâce à ses complications vaudevillesques. Elle ne s’appesantit pas. Si elle nous émeut, elle nous fait rire. Et cela grâce à un personnage « énooorme », une sorte de Falstaff viennois, le Baron Ochs. Il a le projet d’un mariage qui le renflouera avec une jeune fille, Sophie, aux parents en quête de respectabilité mondaine. Mais, jouisseur ridicule, il va se heurter aux réjouissants stratagèmes de la Maréchale et d’Octavian. Tohu-bohu, déguisements, quiproquos, imbroglio : oui, c’est une farce alors.

Damien Michieletto installe tout cela dans un univers scénique de grande élégance, qui n’a rien de réaliste, mais qui suggère. Il réussit à donner à voir le douloureux constat de la Maréchale : sa chambre est répétée en arrière-plan, on y découvre un sosie désenchanté de cette Maréchale, ou encore des femmes de générations successives. De la neige recouvre cet espace. Comme un écho à ce « Tombe la neige, tu ne viendras pas (plus) ce soir », que chantait Adamo. Quand elle commence son air merveilleux de tristesse face au temps qui passe, on vient déposer à l’avant du plateau des dizaines de (magnifiques) horloges, en résonnance avec ses mots : « Parfois je me lève la nuit et je fais arrêter toutes les pendules, toutes ». Quelle belle image finale aussi que celle du jeune couple s’en allant au loin dans un paysage montagneux, là-bas, alors que la Maréchale rejoint le triste lit conjugal dorénavant à l’avant-plan du plateau, ici. Les bonnes idées ne manquent pas pour les scènes de farce, surlignées comme il convient (ah ! Octavian déguisé en soubrette hollywoodienne séductrice ; ah ! les deux sbires Dupont-Dupond du Baron ; ah ! les Autrichiens en shorts de cuir). Avec quelques surgissements davantage surréalistes comme les corbeaux apparaissant aux seuls yeux du Baron dans la scène de l’auberge ou de gros ballons de baudruche blancs. 

À la Monnaie, Castellucci réduit en cendres la Jeanne d’Arc au bûcher de Claudel-Honegger

par

Composée en 1935 à l’instigation de la danseuse, actrice et mécène russe Ida Rubinstein, Jeanne d’Arc au bûcher demeure, avec Le Roi David, l’œuvre lyrique la plus célèbre et la plus jouée d’Arthur Honegger. Fruit de sa première collaboration avec Paul Claudel, cet oratorio dramatique en onze scènes et un prologue (créée à la Monnaie dans sa version intégrale en 1946) retrace, à rebours, la vie tristement écourtée de la Pucelle d’Orléans, depuis la première scène, qui prend place au seuil de l’échafaud, jusqu’à la dernière, qui referme la boucle en revenant au bûcher de Rouen. 

L’alchimie de deux grands talents 

L’esprit de l’œuvre est celui du "jeu populaire" ou "mystère" médiéval. Véritable "cathédrale en puissance faisant voisiner le chapiteau et la gargouille", comme l’a si joliment dit Harry Halbreich, le livret de Claudel dont se saisit Honegger permit au compositeur suisse de ciseler une partition aux couleurs les plus contrastées, mêlant de véritables chansons populaires ("Voulez-vous manger des cesses" et "Trimazô"), des fanfares et carillons et des airs aux accents jazzy à des chants grégoriens et des thèmes lyriques exaltant la Foi, l’Amour et l’Espérance. Au chant, Honegger ne confie que les parties visionnaires du texte -celui que prononcent la Vierge Marie, sainte Catherine et sainte Marguerite ; ne font exception que quelques interventions burlesques de Cauchon, l’évêque de Beauvais, alias Porcus, qui préside au procès de la jeune Lorraine. Dans la fosse, le compositeur se taille un orchestre sur mesure, remplaçant les cors par trois saxophones et la harpe par deux pianos et un célesta; sans oublier d’y convier les ondes Martenot, si chères à son cœur, auxquelles il délègue l’un des thèmes cycliques de l’œuvre. 

A La Monnaie, la Flûte déjantée de Castellucci questionne Mozart

par

Les circonstances rocambolesques qui entourent la commande du fameux Requiem KV 626 ont permis à l’œuvre de passer aujourd’hui pour celle dans laquelle Mozart investit non seulement ses dernières ressources, mais aussi la part la plus intime de sa personnalité. Il est vrai que le commun des mortels préfère généralement ériger en testament une messe des morts plutôt qu’un Singspiel. Mais Mozart n’est pas le premier venu : c’est un génie pétri des idéaux des Lumières, à l’heure où la Révolution française prétend vouloir inaugurer une ère nouvelle. Son véritable manifeste, l’Aufklärung brille de mille feux, c’est La Flûte enchantée. C’est elle qui lui donne l’occasion d’exprimer ses aspirations les plus profondes ; elle, par conséquent, qu’il s’épuisera à achever à tout prix avant de s’atteler au Requiem -que son commanditaire attendait pourtant de pied ferme. On le sait: son dernier opéra le remuait tant que Mozart était incapable de se le jouer au piano.

C’est dire qu’on ne peut s’attaquer à La Flûte enchantée sans être particulièrement attentif à en préserver l’intégrité. Evénement musical de la rentrée, la Flûte revisitée par Romeo Castellucci fait salle comble. Et, comme tout événement d’envergure, elle divise.

Création en France du "Cercle de Craie" de Zemlinsky à Lyon

par

© Jean-Louis Fernandez

« Der Kreidekreis » (Le cercle de craie) est le septième opéra du compositeur autrichien Alexander von Zemlinsky (1872-1942), beau-frère et professeur d'Arnold Schoenberg, dont les œuvres ont été défendues par les nazis. « Der Kreidekreis » créé à Zürich en 1933 est un opéra en trois actes et sept tableaux sur un livret élaboré par le compositeur sur le texte de la pièce éponyme de 1925 de Klabund, un poète et écrivain allemand qui s’est inspiré d’une pièce de théâtre chinoise de l’époque des Yuan.

L'opera seria peut se révéler passionnant

par
Lucio Silla

Jeremy Ovenden, Lenneke Ruiten © BUhlig

L'opera seria reste éprouvant pour nos sensibilités du XXIe siècle. Cette avalanche quasi ininterrompue de récitatifs et d'arias a de quoi éreinter le plus bienveillant des mélomanes, même si elle est signée Haendel ou Vivaldi. Le jeune Mozart livre, en 1772, à 16 ans, ce Lucio Silla, oeuvre charnière, qui se situe entre son premier essai du genre, Mitridate, et La Finta Giardiniera, parfaite réussite dans l'opera buffa.