L'opera seria peut se révéler passionnant

par
Lucio Silla

Jeremy Ovenden, Lenneke Ruiten © BUhlig

L'opera seria reste éprouvant pour nos sensibilités du XXIe siècle. Cette avalanche quasi ininterrompue de récitatifs et d'arias a de quoi éreinter le plus bienveillant des mélomanes, même si elle est signée Haendel ou Vivaldi. Le jeune Mozart livre, en 1772, à 16 ans, ce Lucio Silla, oeuvre charnière, qui se situe entre son premier essai du genre, Mitridate, et La Finta Giardiniera, parfaite réussite dans l'opera buffa.

Mozart n'était pas un révolutionnaire, il était un génie. Il a pris la forme officielle de l'opéra d'alors, et l'a adaptée grâce à son sens théâtral inné. Certes, nous sommes encore loin d'Idomeneo, mais le grand Mozart s'annonce. La puissance orchestrale frappe immédiatement, surtout sous la baguette nerveuse d'Antonello Manacorda, que La Monnaie avait pu applaudir dans La Petite Renarde rusée la saison dernière. Tout le talent d'orchestrateur hors pair de Mozart éclate, dès la Sinfonia. Il faut écouter cette évocation du père de Giunia au cimetière, ou certaines introductions aux airs (de Celia, par exemple) pour rendre les armes. Cette scène d'ombre, presque fantastique, qui précède le duo final de l'acte I, est par ailleurs assez exceptionnelle dans le théâtre de Mozart. Et l'apparition de Cecilio surgissant au milieu des stèles funéraires faisait froid dans le dos. Loin de toute allusion à la république romaine, la mise en scène nous place au centre du drame humain. Le triangle Cecilio-Giunia-Silla, entouré du couple secondaire Cinna-Celia se suffit à lui-même et les relations tissées entre les personnages sont approchées de manière claire ou tendue selon l'instant. L'émotion est à fleur de peau grâce à une direction d'acteurs très soignée et à l'engagement dramatique des chanteurs. Maître d'oeuvre d'une équipe formidable et éloigné de tout Regietheater (tout se passe dehors ou dans les pièces d'une villa moderne pivotante),  le metteur en scène allemand Tobias Kratzer empoigne le spectateur, tout simplement par l'adéquation d'une dramaturgie aux sentiments exprimés par la partition, malgré une abondance de vidéos un peu  dérangeantes. C'est assez rare pour être souligné. Le rôle-titre n'a pas grand-chose à faire, il est vrai, Mozart l'ayant raccourci : le ténor pressenti pour la création, malade, avait été remplacé par un chanteur nettement moins bon. Mais Jeremy Ovenden a parfaitement chanté - et joué - ses deux airs. Son confident, Aufidio, n'avait qu'un air, bien interprété par Carlo Allemano. Pour le couple central, Peter de Caluwe avait réuni deux grandes pointures du chant actuel, Lenneke Ruiten en Giunia (la soprano vient de triompher à Lausanne dans Lucia di Lammermoor) et Anna Bonitatibus (Cecilio), à l'indéniable tempérament dramatique. Elles ont donné le meilleur d'elles-mêmes. Physiquement on ne peut plus crédibles, elles exprimaient leur amour aussi bien dans les nombreux récitatifs accompagnés que dans leurs airs. Troisième rôle féminin, et non le moindre, Célia, soeur de Silla, était chantée par la jeune soprano belge Ilse Eerens. Malheureusement attifée comme une Micaëla nunuche, elle a su charmer le public par ses vocalises impeccables et son timbre cristallin. Le rôle est ravissant, par ailleurs. Quant au Cinna de Simona Saturova, androgyne en diable, il a beaucoup impressionné par une prestance scénique et vocale remarquable. Tout ce joli monde s'est retrouvé dans l'unique ensemble de l'oeuvre, le quatuor final de l'acte II. Un excellent spectacle donc, sans oublier le chien, qui de temps à autre, traversait la scène. Un dernier point : après la conférence de presse, Peter de Caluwe a inauguré une statue du sculpteur berlinois Alexandre Polzin, hommage à Gérard Mortier, représentant un couple dansant. Elle est placée dans le Grand Foyer.
Bruno Peeters
Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, le 29 octobre 2017

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