Mots-clé : Patricia Kopatchinskaja

Arnold Schönberg, démystifié avec Kirill Petrenko 

par

Arnold Schönberg (1874 - 1951) : Die Jakobsleiter, oratorio pour solistes, chœur et orchestre ;  Kammersymphonie n°1. Op. 9, Concerto pour violon et orchestre. Op.36 ;  Variations pour orchestre. Op. 31 ; Verklärte Nacht. Op. 4 (Version pour orchestre de 1943). Patricia Kopatchinskaja, violin, Wolfgang Koch (Gabriel, baryton), Daniel Behle (Ein Berufener, ténor), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Ein Aufrührerischer, ténor), Johannes Martin Kränzle (Ein Ringender, baryton), Gyula Orendt (Der Auserwählte, baryton), Stephan Rügamer (Der Mönch, ténor), Nicola Beller Carbone (Der Sterbende, soprano), Liv Redpath (Jasmin Delfs, Die Seele, soprano), Rundfunkchor Berlin, direction : Gijs Leenaars, Berliner Philharmoniker, Direction :  Kirill Petrenko. 2019-2024. Livret en anglais et allemand. 147mn.  Berliner Philharmoniker BPHR 250511

Patricia Kopatchinskaja et Mirga Gražinytė-Tyla : Morts et Transfigurations

par

Voici comment ce concert était exposé sur le site de Radio France (texte malheureusement non repris dans le programme de salle, qui présente – fort bien au demeurant – les œuvres une par une, sans donner au spectateur cette piste globale) : « La vie, et au-delà : ce concert s’écrit comme un récit. Nous voici, par un matin de printemps, dans la palette radieuse de Lili Boulanger, devant l’innocence d’une jeune femme décédée dans la fleur de l’âge – c’est l’ange du Concerto de Berg, que Patricia Kopatchinskaja incarne de façon déchirante. La symphonie de Haydn signe un retour chez les vivants, éclatante dans son soleil de midi, avant que Strauss ne peigne les affres de la mort, prologue à une nouvelle délivrance. Morts et transfigurations en compagnie de Mirga Gražinytė-Tyla. »

Reprenons pas à pas.

Pour commencer, D’un Matin de printemps une courte pièce pour orchestre écrite par Lili Boulanger en 1917, puis orchestrée en 1918. Elle n’avait que vingt-quatre ans, mais se savait déjà condamnée, et mourut en effet quelques semaines plus tard. Elle aurait pourtant pu avoir une formidable carrière de compositrice, tant son talent, voire son génie, étaient grands. D’un Matin de printemps est le pendant radieux d’un diptyque dont le second volet est D’un Soir triste (qui, en réalité, n’a pas été conçu comme un diptyque, même si les deux pièces ont été composées pour la même formation, puis orchestrées, à la même époque – et qu’elles se répondent jusque dans leurs thèmes musicaux).

L’amplitude des gestes de Mirga Gražinytė-Tyla épouse parfaitement la nature des différents épisodes, des plus légers, presque timides, aux plus sensuels, presque exaltés.

Suivait le Concerto pour violon « à la mémoire d’un ange », écrit par Alban Berg en 1935 (qui était également à la toute fin de sa vie), à la suite de la mort, à l’âge de dix-huit ans, de Manon Gropius, la fille d’Alma Mahler (alors veuve de Gustav) et du célèbre architecte Walter Gropius, fondateur du Bauhaus. C’est une œuvre en deux parties, dans laquelle le compositeur a glissé deux citations : « Un oiseau sur le prunier », une mélodie populaire carinthienne, et le choral « C'en est assez, Seigneur » utilisé par Bach dans sa cantate « Ô Éternité, terrible parole ! ». 

Klarafestival: Patricia Kopatchinskaja et Fazil Say, now or never

par

Patrica Kopatchinskaja
2023
Photo: Marco Borggreve

"We are now". Telle est l’accroche de la vingtième édition du Klarafestival, qui s’est ouverte le 20 mars à Bruxelles. Notre perplexité initiale face à ce slogan sibyllin, qui résonne a priori comme une lapalissade, s’est dissipée ce mardi au regard du programme qu’avaient concocté Patricia Kopatchinskaja et Fazil Say, et surtout de leur jeu d’une incroyable modernité.  

"Il n’y a sans doute rien de mieux que de respecter, admirer et étudier les morts illustres; mais pourquoi, de temps à autre, ne pas vivre aussi avec les vivants", affirmait Franz Liszt. Une proposition qui devient d’autant plus évidente à l’aune du propos de Charles Munch: "La musique contemporaine n’est-elle pas l’expression de notre temps ? Elle devrait être celle que l’on comprend le mieux. » 

Say et Kopatchinskaja sont de ceux qui savent rendre hommage aux génies qui nous ont précédés tout en vivant pleinement à leur époque. Ils nous l’ont encore montré ce soir, non seulement en proposant deux œuvres contemporaines aux côtés de « classiques » du répertoire des siècles derniers, mais aussi en jetant des ponts entre les unes et les autres et en s’efforçant de livrer des œuvres du passé une interprétation d’une profonde actualité, à mille lieues d’une lecture routinière, dont leurs personnalités hors normes n’auraient pu s’accommoder.      

Artiste en résidence du Klarafestival, Patricia Kopatchinskaja joue en tandem avec Fazil Say depuis une vingtaine d’années. « Fazil est une force tectonique », dit-elle à propos du pianiste turc. « Elle raconte une histoire comme personne », dit-il au sujet de la violoniste moldave.

Achevés il y a cent-dix ans, les Mythes Op. 30 de Karol Szymanowski demeurent profondément modernes. Le compositeur polonais annonçait à juste titre avoir créé dans ce cycle un « nouveau mode d’expression pour le violon ». Géniteur du violon impressionniste, Szymanowski y déploie, en effet, un large éventail de techniques de jeu et de timbres: harmoniques, trilles dans le suraigu, cascades de triples croches, glissements rapides de doubles cordes, micro-intervalles. Autant d’effets qui - à l’exception des derniers - n’étaient pas nouveaux mais que Szymanowski fut le premier à conjuguer: dans les passages en doubles cordes, l’une des deux notes peut être trillée; les trilles peuvent être joués sul ponticello; les tremolos peuvent être combinés à des glissandos, qui peuvent l’être à des harmoniques. La virtuosité, cependant, n’est jamais gratuite, mais au service de la plus sincère expression. 

Patricia Kopatchinskaja et Tarmo Peltokoski flamboyants dans Schoenberg et Wagner

par

Deux œuvres a priori très dissemblables étaient proposées à ce concert de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France : le Concerto pour violon de Schoenberg, et un « résumé symphonique de la Tétralogie » de Wagner. Cette proximité pouvait paraître déroutante, voire incongrue. Et pourtant...

Certes, connaissant le jeu toujours éminemment habité de Patricia Kopatchinskaja, nous pouvions nous attendre à ce que le Concerto de Schoenberg soit débarrassé de ce qui peut le rendre austère, voire abscons. D’autant qu’elle est, avec cette musique, dans un environnement qui lui est particulièrement familier.

Après avoir grandi en Moldavie, qui faisait alors partie de l’URSS et où la musique dodécaphonique était inconnue, à treize ans elle est partie étudier la composition à Vienne, dont elle a découvert la Seconde École (Schoenberg, Berg et Webern). De l’autre côté du rideau de fer, cela a été pour elle un choc libérateur. Elle joue cette musique comme si sa vie en dépendait.

Par ailleurs, en tant qu’interprète elle entretient avec Schoenberg un rapport très particulier, car outre ses œuvres pour violon, elle s’est mise, à la faveur d’une tendinite il y a quelques années, à tenir la partie vocale (avec la fameuse technique du Sprechgesang, mélange de parlé et de chanté) du Pierrot lunaire, qu’elle avait souvent joué au violon. Nous y reviendrons.

Le Concerto de Schoenberg est d’une redoutable difficulté. En découvrant la partition, Jascha Heifetz, l’un des virtuoses les plus éblouissants du XXe siècle et qui était pressenti pour en assurer la création, a demandé au compositeur : « Monsieur, ne vous est-il pas venu à l’esprit qu’il faut six doigts pour jouer cela ? » Assurément, Patricia Kopatchinskaja, dite « PatKop », la « violoniste aux pieds nus », est pourvue d’assez de doigts pour en déjouer toutes les difficultés, autant techniques qu’intellectuelles, et surtout donner de l’expression à chaque note. Pour faire de la musique, tout simplement !

Dotée d’une technique qui semble infaillible, compositrice autant qu’interprète dans l’âme, PatKop est, semble-t-il, à l’aise dans toutes les musiques, des plus populaires aux plus ardues. Et elle les joue avec la même flamme, la même indépendance face à la tradition (au risque de choquer, bien sûr), et la même créativité.

A l’OSR, un chef magnifique : Hannu Lintu  

par


Pour le deuxième concert de sa saison 2023-2024, l’Orchestre de la Suisse Romande invite le chef finlandais Hannu Lintu et la violoniste moldave Patricia Kopatchinskaja.

De l’actuel directeur musical de l’Opéra National Finlandais, les publics genevois et lausannois ont gardé en mémoire son programme de 2021 où il avait présenté Tapiola de Jean Sibelius, le Concerto pour violon ‘A la mémoire d’un ange’ d’Alban Berg et la Quatrième Symphonie dite Inextinguible de Carl Nielsen. 

Avec cette énergie indomptable qui le caractérise, Hannu Lintu propose, le 11 octobre, la plus célèbre page symphonique de Jean Sibelius, Finlandia, ce cri de révolte de sa patrie étouffant sous l’oppression russe. Il en dégage la grandeur par la solennité des cuivres striée par les traits de cordes à l’arraché, alors que l’Allegro moderato répondant à cette introduction arbore la véhémence cinglante d’oriflammes emportés par la bourrasque. En une accalmie rassérénée, les bois chantent un choral hymnique que développent généreusement les cordes avant la reprise du fougueux allegro concluant en apothéose triomphante. 

Intervient ensuite Patricia Kopatchinskaja avec ce ‘look’ qui ne laisse pas indifférent, ses pieds nus sous sa longue robe rouge, sa gaieté presque enfantine qui lui permet de s’investir dans les expériences les plus improbables. C’est pourquoi elle s’attaque au redoutable Concerto pour violon et orchestre que György Ligeti élabora en 1990 et remania deux ans plus tard en tenant compte des recherches électro-acoustiques du compositeur mexicano-américain Conlon Nancarrow. Par de presque imperceptibles glissandi, elle dessine le Vivace luminoso initial qu’elle lacère de brusques accents avec l’aide du xylophone et de l’effectif de cordes réduit à dix instrumentistes afin de produire un tourbillon que les cuivres transformeront en choral. L’Andante prend un caractère recueilli grâce au discours du soliste s’animant progressivement par un dialogue avec l’alto et devenant même sautillant en réponse à la flûte à bec ou à l’ocarina. L’Intermezzo brille par les traits en cascade des bois que pimente le violon dans l’extrême aigu de sa tessiture, tandis que, par contraste, la Passacaglia se pare d’étrangeté par  le pianissimo des bois et la sonorité fibreuse du solo passant du tremolo blafard à de déchirantes stridences. Le Final est un Agitato molto où le violon exhibe une virtuosité à toute épreuve débouchant sur une cadenza échevelée que Patricia Kopatchinskaja achève en chantant même quelques mesures. Mais comme révoltés, les instrumentistes se  lèvent en provoquant un charivari que sanctionnera vertement la timbale, ce qui laisse le public pantois. Quatre ou cinq spectateurs s’empressent de quitter la salle, alors que la plupart se laissent griser par les deux bis qu’offre la soliste en dialoguant avec le violoncelle solo puis avec le violon. Ô combien aurait-il été judicieux de comprendre ce qu’elle a voulu expliquer sans l’aide d’un micro….

Patricia Kopatchinskaja et Giovanni Antonini dynamitent Vivaldi

par

What’s next Vivaldi ? Antonio VIVALDI (1678-1741) : Concertos pour violon, cordes et basse continue RV 157, 191, 208 « Il Grosso Mogul » et 253 « La Tempesta di Mare » ; Concerto pour quatre violons, cordes et basse continue RV 550. Aureliano CATTANEO (*1974) : Estroso pour violon, flûte, cordes, théorbe et clavecin. Luca FRANCESCONI (*1956) : Spiccato il volo pour violon seul. Simone MOVIO (*1978) : Incanto XIX pour flûte, violon et cordes. Marco STROPPA (* 1959) : Dilanio avvinto pour flûte et deux violons. Giovanni SOLLIMA (* 1962) : Moghul, pour violon, flûte, cordes et basse continue. Béla BARTÓK (1881-1945) : Szol a Duda (La cornemuse) pour flûte et violon. Patricia Kopatchinskaja, violon ; Il Giardino Armonico, direction et flûte Giovanni Antonini. 2018. Livret en allemand, en anglais et en français. 70.56. Alpha 624.

A Sion, le génie de la violoniste Patricia Kopatchinskaja

par

Située dans le canton du Valais, la ville de Sion est l’une des capitales suisses du violon. Le mérite en revient au Hongrois Tibor Varga qui s’y installa en 1963 pour fonder une académie d’été, un festival et un concours international en 1967. Depuis sept ans, c’est toutefois un vent de fantaisie slave qui souffle sur le Sion Festival depuis que le violoniste Pavel Vernikov en a pris la direction artistique. 

Dans une programmation qui laisse une large place à des projets originaux, deux vedettes de l’école musicale « russe » créaient l’événement lors du week-end inaugural du Sion Festival. Originaire de Moldavie, la violoniste Patricia Kopatchinskaja est une fidèle du public helvétique puisqu’elle habite Berne depuis de nombreuses années et possède la double nationalité autrichienne et suisse. Aux côtés de la pianiste Polina Leschenko, la musicienne aux pieds nus sidère par son incroyable liberté interprétative.  Sous l’archet de son Pressenda de 1834, les Impressions d’enfance d’Enesco apparaissent comme un torrentueux livre d’images, tour à tour impressionnistes et modernistes (on songe parfois à Messiaen). Annonçant le nom des mouvements d’une voix gourmande, la violoniste moldave prend tellement de risques rhapsodiques qu’on remarque à peine le jeu franc et direct de sa consoeur pianiste. Même fascination pour la Sonate n°2 de Ravel (dont Enesco tenait la partie de violon à la création en 1927) que Kopatchinskaja réinvente sous nos yeux. Pas de poursuite hédoniste du beau son, au contraire, la violoniste se tient constamment sur un fil fragile et fantomatique. Avec un jeu aussi imprévisible, le célèbre Blues central prendra des couleurs de Far West et de jazz manouche. Kopatchinskaja tente beaucoup, ne réussit pas tout mais impressionne par une inventivité de tous les instants. 

Francisco Coll, compositeur

par

Le premier International Classical Music Award (ICMA) attribué à un compositeur va à l’Espagnol Francisco Coll (*1985).  Formé à Valence et à Madrid, Francisco Coll est devenu en 2009 le seul élève privé du compositeur britannique Thomas Adès. Il a terminé ses études à la prestigieuse Guildhall School en même temps qu’il débutait une impressionnante carrière internationale de compositeur avec des commandes du London Symphony, du Los Angeles Philharmonic, de l'Ensemble intercontemporain et du London Sinfonietta, entre autres. Pour la revue Scherzo, membre espagnol du jury des ICMA, Pablo L. Rodríguez a évoqué avec lui le passé, le présent et l'avenir au cours d’un entretien chez lui depuis à Lucerne.

Comment devient-on compositeur aujourd'hui ?

En réalité, je n'ai jamais pensé à devenir compositeur. Dans mon cas, c'était complètement irrationnel. Je me souviens parfaitement de la première fois où j'ai voulu composer quelque chose : j'en avais assez d'entendre toujours la même chose dans mon Walkman et j'ai décidé d'enregistrer quelque chose que j'avais créé moi-même avec des instruments que je pouvais jouer. Je devais avoir une quinzaine d'années. C'était une façon de faire la musique que je voulais entendre. Et c'est en quelque sorte ce que je fais encore aujourd'hui. C’était désastreux, mais c'était une tentative.