Francisco Coll, compositeur

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Le premier International Classical Music Award (ICMA) attribué à un compositeur va à l’Espagnol Francisco Coll (*1985).  Formé à Valence et à Madrid, Francisco Coll est devenu en 2009 le seul élève privé du compositeur britannique Thomas Adès. Il a terminé ses études à la prestigieuse Guildhall School en même temps qu’il débutait une impressionnante carrière internationale de compositeur avec des commandes du London Symphony, du Los Angeles Philharmonic, de l'Ensemble intercontemporain et du London Sinfonietta, entre autres. Pour la revue Scherzo, membre espagnol du jury des ICMA, Pablo L. Rodríguez a évoqué avec lui le passé, le présent et l'avenir au cours d’un entretien chez lui depuis à Lucerne.

Comment devient-on compositeur aujourd'hui ?

En réalité, je n'ai jamais pensé à devenir compositeur. Dans mon cas, c'était complètement irrationnel. Je me souviens parfaitement de la première fois où j'ai voulu composer quelque chose : j'en avais assez d'entendre toujours la même chose dans mon Walkman et j'ai décidé d'enregistrer quelque chose que j'avais créé moi-même avec des instruments que je pouvais jouer. Je devais avoir une quinzaine d'années. C'était une façon de faire la musique que je voulais entendre. Et c'est en quelque sorte ce que je fais encore aujourd'hui. C’était désastreux, mais c'était une tentative.

Vous jouiez du trombone et je crois savoir que Christian Lindberg était votre idole.

Mon père m'a emmené l’écouter au Palau de la Musica à Valence quand j'avais douze ans. Lindberg a joué en soliste une œuvre pour trombone alto de Wagenseil ou Albrechtberger avec l'Orchestre de Valence. Et c'était la première fois que j'entendais un orchestre en direct. Mais je me souviens qu’en bis, Lindberg a donné une pièce intitulée Bocetos de la Mancha de Jan Sandström. Là, j’ai réalisé qu'il y avait une autre façon de faire de la musique. Et je me suis aussi intéressé à la musique de Cage.

J'ai cru comprendre que vous aimez aussi peindre.

Oui, mon père avait une petite boutique d’encadrements. J'ai grandi entouré de tableaux. Aujourd'hui, je fais un tableau chaque fois que je compose une œuvre. Parfois je ne sais pas si je compose ou si je peins, parce que je ne vois pas beaucoup de différence entre la peinture et la composition. Pour moi, le processus de composition est similaire à la peinture. Au lieu de me concentrer sur un fragment et de l'affiner à l'huile, je fais une rapide esquisse au fusain, puis j'ajoute une aquarelle, puis une couleur plus raffinée et je me concentre sur les touches finales avant de terminer le travail. Pour la composition, je fais pratiquement la même chose. Je compose en général très vite, parce que j'ai le sentiment que le résultat final sera plus organique, plus fluide et que sa rhétorique sera plus convaincante. Mais je ne pense pas que j'invente quoi que ce soit de nouveau.

Parlons de votre travail. Votre première commande était le Double Quintette de Cuivres qui fut créé en 2005 au Avery Fischer Hall de New York.

C’était un simple exercice de composition car il a une signification plus personnelle que professionnelle : il était basé sur des improvisations pour mon grand-père qui venait de décéder. Par une série de coïncidences, l'œuvre s'est transformée en ce Double Quintette de Cuivres à New York, pour Canadian Brass et les membres du New York Philharmonic, et je n'ai même pas assisté à la première.

Puis vint Aqua Cinereus en 2006.

Je l’ai écrit pour Cristobal Soler et l'Orchestre Philharmonique de l'Université de Valence où il jouait du trombone. Ça n'a pas eu beaucoup de succès, mais j'ai envoyé un enregistrement à Thomas Adès et il m'a invité à travailler avec lui à Londres. Ce fut vraiment le début, bien qu'à cette époque j'aie écrit d'autres compositions qui m'ont permis de gagner quelques concours et d'aller étudier à Madrid.

Quelles œuvres avez-vous commencé à travailler avec Thomas Adès à Londres ?

Je ne devais rester à Londres qu'un an, mais grâce à quelques commissions, j'ai pu y rester. La première oeuvre sur laquelle j'ai travaillé avec Adès, ce fut l'ouverture Hidd'n Blue (2009-11) commandée par le London Symphony un mois après mon arrivée à Londres. C’est François-Xavier Roth qui l’a créée et elle a eu beaucoup de répercussions internationales grâce à Gustavo Gimeno. Puis j'ai écrit Piedras (2009-10) pour le Los Angeles Philharmonic -bien que son origine soit liée aussi à une classe à Aldeburgh avec Magnus Lindberg qui m'en a proposé le titre.

En 2013, j'ai écrit mon premier opéra, Café Kafka, qui est maintenant absorbé dans le second. Je n'avais pas prévu d'écrire un opéra, je ne connaissais pas très bien cet univers. En fait, Café Kafka est un opéra court. Il s'agissait d'une commande du directeur du London Sinfonietta à laquelle se sont joints plusieurs théâtres et festivals. C’est grâce à ce travail que je me suis lancé dans l'opéra. J'écris actuellement le second, pour la saison 2020-21 du Royal Opera House de Londres, et il aura une durée normale. Je retrouve Meredith Oakes comme librettiste et c'est basé sur Le rêve d'un homme ridicule de Dostoïevski.

C'est un thème récurrent dans votre travail.

Le surréalisme est quelque chose que je considère comme faisant partie de ma personne. Je ne me sens pas ‘compositeur surréaliste’, mais j'ai utilisé la technique d'écriture automatique de Breton pour composer Piedras. Je m'intéresse à beaucoup d’aspects du surréalisme.

Un autre élément récurrent, c’est la sociologie, avec des allusions à l'hypermodernité dans plusieurs de vos compositions.

A la fin de mes études secondaires, je me suis intéressé à la sociologie et à Lipovetsky dont les jeux d'opposés m'ont beaucoup attiré entant que compositeur. A partir de son hypermodernité, j'ai écrit une série de préludes pour violon solo que j'ai appelés Hyperludies (2014). J'ai aussi utilisé le célèbre concept de société liquide de Zygmunt Bauman dans mon travail Liquid Symetries (2013).

L'onirique et le sociologique se rejoignent dans votre fresque symphonique (2013-15).

C'est peut-être l’oeuvre qui ‘agglutine’ le mieux ma première décennie. Elle cite même Tomas Luis de Victoria. La peinture murale commence par une présentation surréaliste et j'utilise mon Hyperlude III pour violon solo dans le deuxième mouvement, comme un reflet du rythme frénétique actuel. Car dans le quatrième, j'inclus quelques détails de l'introduction du Requiem de Victoria à la manière de ruines et comme un échantillon de la décadence contemporaine. Cet usage est lié à la célèbre phrase de Picasso sur la copie et le vol que je n'ai pas vraiment comprise qu'en 2013, quand j'ai composé Four Iberian Miniatures et 'volé' deux mesures d'Anda Jaleo de Lorca. Je les ai digérées et vomies, transformées en quelque chose de différent.

Parlons de l'influence du flamenco dans votre travail.

J'ai découvert le flamenco par rébellion contre un professeur de solfège. Je l'ai instinctivement lié à l'utilisation de la musique populaire, comme l'ont fait Bartok ou Ligeti. Mais je n'ai pas réussi à l'intégrer dans mon travail avant les Quatre Miniatures ibériques. Puis je l'ai repris dans mon Concerto grosso (2016) que j'ai écrit pour le vingtième anniversaire du Quatuor Casals avec l'Orchestre National d'Espagne. Et encore une fois pour Turia (2017) pour guitare solo et ensemble, peut-être mon œuvre la plus flamenca bien qu'il s'agisse d'un flamenco transfiguré, aux aspects très différents.

Turia est peut-être votre composition la plus marquée par Valence.

J'ai été éloigné de Valence pendant onze ans et ce n'est qu'en 2017 que j'ai pu écrire une œuvre comme Turia en hommage à un fleuve presque surréaliste, qui n'a pas d'eau. On s'y promène, il y a des jardins et même un opéra. Quoi qu'il en soit, l'œuvre est un hommage à la lumière de Valence, comme Joaquín Sorolla y Bastida l'a peinte et que je voulais capturer dans ma musique.

Et qu'en est-il de vos dernières œuvres ?

En juillet 2018, Patricia Kopatchinskaja et Sol Gabetta créaient le duo pour violon et violoncelle Rizoma. Et puis j'en ai développé le matériau pour en faire un double concerto pour elles deux. La première aura lieu en juin 2019 au Kloster St. Peter auf dem Schwarzwald en Allemagne. Il y a aussi un concerto pour violon pour Kopatchinskaja avec qui je partage de nombreuses idées sur la musique et l'art en général. Une commande de plusieurs orchestres internationaux : l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg, le London Symphony Orchestra, le Seattle Symphony et Bamberger Symphoniker.

Le site de Francisco Coll  :  www.franciscocoll.com

Crédits photographiques : Francisco Coll / DR

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